Par la loi du 20 mai 1802 (30 Floréal an X) était acté le maintien de l’esclavage dans les colonies françaises de la Martinique, de Tobago et de Sainte-Lucie, fraichement restituées à la France par le gouvernement britannique, ainsi que dans celles de l’océan Indien. Avec ce texte, le Premier Consul Napoléon Bonaparte revenait sur un acquis majeur de la Révolution – l’abolition de l’esclavage – qui traduisait dans la loi les idéaux de liberté et d’égalité. Comment comprendre ce rétablissement ?

Le consulat : un nouveau contexte

En 1799, la nouvelle constitution du consulat (constitution de l’an VIII) modifie le statut des colonies qui ne sont plus des départements comme les autres : « Le régime des colonies françaises est déterminé par des lois spéciales ». L’obstacle constitutionnel à un éventuel rétablissement de l’esclavage dans les colonies est ainsi levé.

Au tournant du siècle, un courant « réactionnaire » s’impose en France contre les Lumières et contre les idéaux révolutionnaires. Il produit les premiers textes du « racisme scientifique ». Narcisse Baudry des Lozières publie en 1802 un des textes les plus violents contre les peuples d’origine africaine, Les égarements du nigrophilisme. L’un des plus marquants est Joseph-Emmanuel Virey qui dans son Histoire naturelle du genre humain (1801) distingue cinq « races humaines », établissant entre elles une stricte hiérarchie : les Noirs, les Hottentots, et les Lapons occupent le bas de cette classification, juste au-dessus des grands singes.

Les colons, les armateurs, les manufacturiers et les négociants impliqués dans le vaste circuit esclavagiste n’ont jamais accepté le décret d’abolition de l’esclavage. Ce nouveau contexte politique leur ouvre de nouvelles voies d’influence qui se traduisent immédiatement par la présence auprès du nouveau pouvoir de grands défenseurs de l’esclavage, au premier rang desquels Denis Decrès, qui est nommé ministre de la Marine et des colonies par Bonaparte en 1801 : adversaire résolu du décret d’abolition du 4 février 1794, il fut l’artisan principal du rétablissement de l’esclavage en 1802.

Quelle était la position de Bonaparte sur l’esclavage ?

Bonaparte n’a pas de position de principe sur l’esclavage mais fait preuve d’opportunisme politique à ce sujet. En 1798, il a aboli l’esclavage après la conquête de Malte, donnant ainsi la liberté aux esclaves musulmans de l’île. Il dénonce de manière indirecte l’esclavage dans sa proclamation d’Alexandrie en Égypte, le 1er juillet 1798. Toutefois, il autorise l’achat d’esclaves en Égypte pour les besoins de l’armée. Ils sont affranchis et intégrés comme soldats. En 1800, il s’oppose au rétablissement de l’esclavage demandé par François Barbé Marbois, l’ancien intendant de Saint-Domingue. Il est alors plutôt favorable à un système dual – maintien de l’esclavage là où il n’a pas été aboli, maintien de l’abolition là où elle a été effective. Sa préoccupation principale est de rétablir l’ordre dans les colonies et notamment mater les prises de pouvoir par des militaires noirs et métissés à Saint-Domingue et en Guadeloupe.

On a souvent relié la décision du rétablissement de l’esclavage à la femme de Napoléon, Joséphine de Beauharnais, héritière d’une plantation. Rien, cependant, dans les témoignages de ses contemporains, ni dans sa correspondance ne l’associe formellement au rétablissement de l’esclavage. Dans le Mémorial de Sainte-Hélène, Napoléon ne la mentionne jamais à ce propos. Le lien de Joséphine avec la Martinique sera utilisé par le Second Empire pour affirmer symboliquement le pouvoir impérial sur l’île et le maintien de l’ancien ordre social. Inaugurée en 1859 sur la plus grande place de Fort de France, sa statue considérée comme un symbole de l’esclavagisme sera finalement abattue par des manifestants à l’été 2020.

Le rétablissement de l’esclavage : des situations différentes selon les territoires

La guerre navale entre la Grande-Bretagne et la France empêchait toute opération de grande envergure à travers l’Atlantique. Mais après la signature des préliminaires de Londres avec les Britanniques le 1er octobre 1801, une expédition militaire forte de 30 000 hommes est lancée vers Saint-Domingue pour y rétablir l’autorité de la République française (commandée par le capitaine-général Leclerc, beau-frère de Napoléon Bonaparte). En mars 1802, le traité d’Amiens est signé avec les Britanniques : la Martinique, Tobago et de Sainte-Lucie sont restituées à la France. Le 20 mai suivant, Bonaparte fait acter par la loi du 30 Floréal an X le maintien de l’esclavage dans ces colonies restituées ainsi que dans celles de l’océan Indien (La Réunion et île de France, où l’abolition n’avait jamais été appliquée), accordant ainsi satisfaction aux demandes des colons.

En Guadeloupe, l’esclavage avait été aboli en 1794. Bonaparte y envoya une expédition militaire commandée par le général Richepance. La reconquête de l’île est chevée le 28 mai 1802 : Louis Delgrès et les derniers défenseurs de la « liberté générale », réfugiés à Matouba, font exploser leur camp fortifié et se suicident plutôt que se rendre, fidèles à la devise révolutionnaire « vivre libre ou mourir ». L’esclavage y fut rétabli par l’arrêté consulaire du 16 juillet 1802 (27 messidor an X). En Guyane, l’esclavage avait également été aboli en 1794 ; il y fut rétabli début novembre 1802 par les troupes commandées par Victor Hugues.

À Saint-Domingue, malgré l’exil forcé de Toussaint Louverture arrêté le 7 juin 1802, la guerre se termine par la première défaite militaire du régime napoléonien après la bataille de Vertières, le 18 novembre 1803, avec pour conséquence immédiate l’indépendance de Saint-Domingue aux mains des anciens esclaves, le 1er janvier 1804, qui prend le nom de « République d’Haïti ».

Bibliographie

Marcel Dorigny, Les abolitions de l’esclavage, Que sais-je ? 2018

Vidéos

1802 : le rétablissement de l’esclavage par Napoléon (4:15). Cette vidéo contextualise et met en perspective le rétablissement de l’esclavage

20 mai 1802, Napoléon légalise l’esclavage (2 :15) sur le site Lumni