L'Hôtel de la Marine


Monument emblématique de la place de la Concorde, l’Hôtel de la Marine est un ensemble architectural créé au XVIIIe siècle par Ange-Jacques Gabriel, Premier architecte du Roi. Il abrita jusqu’en 1798 le Garde-Meuble de la Couronne et fut pendant plus de deux cents ans le siège de l’état-major de la Marine, ainsi que, de 1789 à 1894, le siège de l’administration centrale des colonies au sein du ministère de la Marine.

L'exécution de Louis XVI sur la future place de la Concorde le 21 janvier 1793, avec l'Hôtel de la Marine à droite. (source:BNF)


C’est donc dans ce bâtiment symbole du Paris des Lumières qu’a été pensée et mise en œuvre la politique coloniale de la France pendant un siècle décisif, des débuts de la Révolution Française à la IIIème République.

Installés à l'automne 1789 à côté du Garde-Meuble Royal qui prenait l'essentiel des locaux de l'Hôtel de la Marine, les ministres et agents du ministère de la Marine ont connu les soubresauts de la Révolution à Paris et dans les colonies, avec notamment les débats sur la revendication d’égalité des libres de couleur dans les colonies, entre 1789 et 1792, l’insurrection des esclaves de Saint-Domingue à partir de 1791, qui provoqua la première abolition en 1794, l’ascension de Toussaint Louverture. 

Denis Decrès, inamovible ministre de la Marine de Napoléon Bonaparte, y a été installé de 1801 à 1814, 13 années durant lesquelles il y a définitivement installé le ministère. C'est donc là qu'il a supervisé notamment l’expédition du général Leclerc à Saint-Domingue pour y restaurer l’ordre colonial ancien, l’exil de Toussaint Louverture, le rétablissement de l’esclavage décidé par Bonaparte, les répressions qui ont accompagné cette décision en Guadeloupe et en Guyane, et qu'il a subi l’indépendance de Saint-Dominique devenue Haïti le 1er janvier 1804 après la défaite des troupes du général Rochambeau à Vertières en novembre 1803, puis la perte de presque toutes les colonies françaises, conquises par les Britanniques sous l’Empire.

Tentures des Indes "Les Deux Taureaux" et  "Le Chameau " à l'Hôtel de la Marine selon un dessin d'Alexandre-François Desportes, 1735


Sous la Monarchie de Juillet, le ministère de la Marine et des Colonies fut le siège des travaux qui ont conduit à la loi abolissant enfin la traite (en 1831) et à la levée des discriminations imposées depuis 1802 aux libres de couleur dans les « vieilles colonies » (en 1833). En 1845 l’influent ministre Mackau, qui avait déjà été en 1825 au cœur de l’imposition de l’indemnité à Haïti, fut à l’origine des lois portant son nom qui aménagèrent le système esclavagiste, mais sans le démanteler.

Il faudra attendre le retour de la République pour que l’Hôtel de la Marine voie enfin la chute de ce système. C’est en effet ici que, entre mars et mai 1848, le socialiste abolitionnisteVictor Schoelcher a eu son bureau de sous-secrétaire d’Etat à la Marine et aux Colonies auprès du ministre de la Marine et des Colonies, l’astronome François Arago, et qu’il a préparé, en tant que président de la commission d’abolition de l’esclavage, ce qui deviendra le 27 avril 1848 le décret qui émancipera les 240 000 personnes environ encore en esclavage dans les colonies françaises. L’Hôtel de la Marine abrite aujourd’hui encore son bureau de travail.

D’un régime à l’autre, l’Hôtel de la Marine vit ensuite, d’une part, les conséquences de l’abolition dans les « vieilles colonies », avec l’indemnisation des propriétaires et la création des banques coloniales (sous la IIème République), la mise en place du statut des engagés pour y introduire une nouvelle main d’œuvre exploitée (sous le 2nd Empire) et le retour de la République coloniale dans ces territoires à partir de 1870, et, d’autre part, la relance des expéditions coloniales en Asie ainsi qu’en Afrique et dans le Pacifique (sous le 2nd Empire et la IIIème République).

Place de la concorde, Joaquín Pallarés Allustante (1853-1935), 1872.

Alors qu’un second empire colonial français se dessine au fil des conquêtes, les affaires coloniales deviennent des sujets de plus en plus lourds et complexes, gérés par une administration aspirant à prendre son autonomie du ministère de la Marine. La séparation des deux administrations s’opèrera, institutionnellement, à la fin des années 1880, et en 1894 le ministère des colonies quitte ses locaux historiques de l’Hôtel de la Marine pour rejoindre d’abord le Louvre, puis au début du 20ème siècle l’hôtel de Montmorin rue Oudinot, siège aujourd’hui du ministère des outre-mer.

Plus de 170 ans après l’abolition, il est donc très symbolique que ce soit dans ce bâtiment que la Fondation pour la mémoire de l’esclavage ait son siège officiel, à quelques mètres du Jardin des Tuileries, où était situé en 1794 la salle de la Convention qui a voté la première abolition de l’esclavage le 4 février 1794.

L'hôtel de la Marine a été restauré par le Centre des monuments nationaux (CMN) entre 2017 et juin 2021. Le siège de la Fondation se trouve donc dans ce monument historique, inauguré le 10 juin 2021 par le Président de la République en compagnie de Jean-Marc Ayrault, président de la FME, et Philippe Bélaval, président du CMN.

Emmanuel Macron, Jean-Marc Ayrault  et Philippe Bélaval à l'inauguration de l'Hôtel de la Marine, 10 juin 2021.