MESSAGE DE CHRISTIANE TAUBIRA

Portrait de Christiane Taubira

Christiane Taubira

Ancienne Ministre de la Justice.

Initiatrice de la loi du 21 mai 2001.

Extraits du discours de clôture des Ateliers de Fondation, le 25 novembre 2018.

Un sujet solennel

« J’avais prévu de tenir devant vous un discours – discours, oh je n’aime pas le mot discours – de m’adresser à vous sur un ton solennel pour clôturer ces travaux. Parce que le sujet appelle de la solennité, il nous intime de nous poser, parfois de baisser le ton pour nous faire mieux entendre. Et puis, depuis que je suis là ce matin, il y a dans cette assistance tellement de vie, tellement de vitalité, tellement d’impatience, un tel sentiment d’urgence, que j’ai décidé de troquer ce que j’avais construit dans ma tête en solennité, pour vous parler de ça. Depuis ce matin, à vous écouter, voilà ce qu’est devenu ma page de cahier, et je crois que cette page témoigne de ce qui a surgit de l’assistance aujourd’hui : des approches différentes qui se croisent, qui reviennent, des réminiscences, des récurrences, des rémanences, une exigence d’être entendu, que les aspects qui nous tiennent à cœur et qui n’ont pas reçu encore de réponse soient entendus, soient proférés. Alors plutôt que cette parole solennelle, c’est la mienne, elle s’élève parmi les vôtres, elle essaie de prendre place au milieu des vôtres, elle ne surplombe pas vos paroles à vous. »


Une vigilance sans faille

« D’abord, peut-être une belle surprise d’ailleurs, j’ai entendu « notre Fondation », je crois que l’appropriation est essentielle. Notre Fondation, il faut que, seconde après seconde, celles et ceux qui feront vivre cette fondation aient conscience qu’elle vous appartient, qu’elle nous appartient, et que cette fondation fera sens si elle habite ce que Césaire encore appelait « notre nous furieux » : « Vent enveloppe moi jusqu’à ce nous furieux ». (…) Donc cette appropriation me paraît d’excellente augure, et la promesse que nous serons dedans, dehors, au-dessous, au-dessus mais d’une vigilance sans faille.
Ensuite, je voudrais vous inciter à savoir reconnaitre les victoires et à nous en délecter. Lorsque nous remportons une victoire, reconnaissons-la, proclamons-la. D’abord parce que ça fait du bien, ensuite parce qu’elle nous permet, cette victoire, de nous arc-bouter pour en exiger d’autres, pour livrer les combats qui viennent. »


Loi 2001 : enseigner l’histoire

« Dans les années qui ont suivi l’adoption de la loi de 2001, il y a eu le respect de l’article 2 sur l’obligation d’enseigner cette histoire à tous les niveaux. (…) Ça c’était une victoire, rappelons-la, proclamons-la, et exigeons qu’elle perdure. »

Le système esclavagiste

« Oui il y a un courage considérable à dire que toutes ces personnes ont été victimes, mais pas victime point à la ligne ! Victime d’un système d’État, victime d’une coalition de puissances monarchiques qui ont mis en œuvre tous leurs savoirs, tous leurs moyens, toutes leurs techniques de l’époque, toutes leurs relations diplomatiques, toutes leurs ambitions, tous leurs intérêts pour écraser des personnes en individualité, non pas des armées face à eux, mais des personnes en individualité et des personnes prises par traitrise, des personnes délibérément détruites, y compris pour l’exemple. (…)  Oui vous pouvez dédaigner l’humanité que nous portons en nous, mais c’est nous qui allons vous sauver, parce qu’en faisant résistance, parce qu’en montrant que cette humanité est invincible et indestructible, nous vous sauvons, vous, de votre inhumanité. »


Féconder le monde contemporain

« Alors oui, nos ancêtres furent des victimes, honorons-les, inclinons-nous, mais oui nos ancêtres furent aussi celles et ceux qui ont fécondé le monde contemporain. Le monde contemporain ! Je parle du monde. Je parle de toutes les sociétés humaines, les sociétés européennes, les sociétés américaines, sud et nord, les sociétés caribéennes, les sociétés africaines, les sociétés asiatiques aussi, parce que, dans ce grand maelström, vous savez que l’Asie a été prise par les engagés, les coolies, et que dans nos pays, dans nos sociétés, dans nos terres, se retrouve le nectar de ce tout que les femmes et les hommes du monde ont inventé, ont créé, que ce soit les langues, que ce soit les religions syncrétiques, que ce soit la gastronomie, que ce soit les danses, que ce soit les chants, que ce soit les explications de l’univers, que ce soit la connaissance des plantes, que ce soit les méthodes de guérison, que ce soit les techniques de pêche, de chasse, d’agriculture. C’est là, dans ces rencontres, de langues, de vocabulaires, de structures, dans ces rencontres de croyances, dans ces rencontres de « Comment mange-t-on ? Qu’est-ce qu’on aime manger ? Qu’est-ce qu’on ajoute au plaisir du palais ? » Ah les délices de l’odorat… c’est là que tout cela a été inventé, c’est dans ces lieux-là. Y a-t-il plus humain que cela ? Est-il possible d’être plus humain que cela ? Voilà nos victoires ! Elles sont immortelles, elles sont éternelles. »


Le monde tout entier vibre en nous

« Oui nous sommes pluriels, et c’est notre puissance. Le monde tout entier vibre en nous, et nous sommes connectés par la fréquence de la mémoire et de l’histoire à la totalité du monde. Et c’est la plus grande force de la société française. Et si elle en est consciente, et c’est une de nos missions de la rendre consciente de cela, cette force que lui apporte cette histoire monstrueuse, cette force peut la rendre elle aussi invincible, et l’aider à se défaire de ses peurs complétement irrationnelles, mortifères, la peur de l’autre, la peur du différent. »


Rendre les mécanismes aveugles

« Moi, pour ma part, je veux que quel que soit l’enfant de ce pays, où qu’il naisse dans ce pays, quelle que soit son apparence, quelle que soit sa couleur, et même quelle que soit la condition sociale de sa famille, je veux que cet enfant ait toutes ses chances ; toutes ses chances et que, si dans vingt ans il doit être prix Nobel de littérature, prix Nobel de physique, prix Nobel de chimie, il n’y ait rien qui l’ait arrêté, aucun mécanisme systémique qui discrimine et qui ait pu l’arrêter à un moment de son parcours. Moi je veux ça, c’est-à-dire que les mécanismes d’intégration dans les services publics, et notamment celui de l’éducation, deviennent aveugles, voilà ce que j’exige ! Non pas qu’on me voit par rapport à ma couleur, mais qu’on ne voit pas ma couleur, qu’on voit mon intelligence, qu’on voit ma volonté, qu’on voit mes talents, qu’on voit mon caractère aussi ! »


Réparation

« (…) un point extrêmement important : c’est la réparation qui a été abordée ce matin aussi. Le crime est irréparable et disons-le haut et fort : Le crime est ir-ré-pa-ra-ble. Pas de nuance, pas d’à peu près, pas de mais, pas de si, le crime est ir-ré-pa-ra-ble, point. (…) La réparation est un sujet et je pense que la Fondation doit arriver à l’épuiser au moins conceptuellement. Je crois que la réparation est impossible, mais je ne tolère pas l’idée qu’on dise qu’il n’y a pas de sujet, là. Il y a des choses possibles, il y a des politiques publiques, la politique foncière que je viens d’évoquer, parce que souvent on écarte complétement le sujet économique, on parle de finance, on parle de toute sorte de choses, de choses parfois aussi juste virtuelles, mais on ne parle pas de l’économie. Oui l’économie fait partie de la spoliation et oui l’économie fait partie des possibilités de réparation. »


Penser à l’échelle du monde

« Nous devons inventer avec une ambition extrêmement haute. Lorsque je vous parle du monde, lorsque je vous dis que nous avons fécondé le monde, ce n’est pas pour entrer sous notre carbet. C’est pour réfléchir, penser à hauteur du monde, à l’échelle du monde, même si nous devons agir là à l’échelle de la France ou à l’échelle des départements d’Outre-Mer, mais nous devons élever l’exigence de notre pensée à l’échelle du monde. » La Fondation : des partenariats « (…) consentez à ce que la Fondation établisse un type de relation avec les sachants, les chercheurs, histoire, sciences sociales, tout le reste, un autre type de relation avec les associations, un autre type de relation avec les institutions, un autre type de relation avec les individualités dont on a parfois besoin de la visibilité au service d’une cause, d’une action etc. Consentez à cela, mais surtout, par pitié, restez chacune, chacun ce que vous êtes, parce que c’est ce qui fait la richesse, c’est ce qui fait le dynamisme, c’est ce qui fait la source d’énergie de notre capacité à faire. »