« Maryse Condé mérite l’hommage national de la République "
Collectif
Publié le 4 avril 2024 sur L'Obs
Monsieur le Président,
Il est des hommages qui s’imposent avec la force de l’histoire, avec celle des pionnières et des premières : la France le doit à Maryse Condé, qui vient de s’éteindre à 90 ans.
Guadeloupéenne à qui on avait dit enfant que « les gens comme elles » n’écrivaient pas des romans comme « les Hauts de Hurlevent », dont la lecture l’avait bouleversée à 10 ans, elle ne l’avait pas cru. Contre les préjugés, contre les assignations de « race » et de genre, contre l’isolement identitaire, Maryse Condé s’est confrontée au monde – la Caraïbe, l’Afrique, les Etats-Unis et l’Europe, de façon terriblement contemporaine, et en avance sur son temps.
Elle a traversé les secousses de la période des indépendances en Afrique en engrangeant des expériences « à rire et à pleurer ». Mais pas seulement. Etre debout, se mettre debout pour revendiquer son existence, imposer sa dignité et sa liberté avec intransigeance, traversent la trentaine de ses livres traduits dans de nombreuses langues. Dans son œuvre, couronnée par ce « prix Nobel alternatif » qui lui a été décerné par la Nouvelle Académie en 2018, à la suite d’un scrutin mondial réunissant plus de 30 000 votants, elle a tressé continuellement l’histoire lointaine et celle plus contemporaine, avec les questions qui se posent dans les sociétés héritières de la période de l’esclavage et du post-esclavage. Retrouver les voix des sans voix, retrouver leurs traces dans l’histoire, toujours.
Ses choix ne cherchaient pas le compromis ni la facilité mais disaient les choses comme elle écrivait ses livres : avec force et netteté, parce que, face à l’esclavagisme, face au colonialisme ou au racisme, face aux contradictions du monde, il n’est pas de nuance possible. Son combat a été incessant pour faire entendre ce message. « La jeune génération doit se battre pour se faire entendre et porter autant que possible à bout de bras ce que nous appelons magnifiquement la République française », disait-elle.
C’est aussi un combat collectif qu’elle a mené en tant que première présidente du Comité pour la Mémoire de l’Esclavage. Son constat était rude en 2005, « la très grande majorité de nos concitoyens du monde issu de l’esclavage et de leurs abolitions continue d’être largement ignorée, négligée et marginalisée. Ces concitoyens perçoivent cet état de fait comme un déni de leur propre existence et de leur intégration à la République ». Ce point de vigilance ouvert grâce à la loi Taubira a permis des avancées (éducation, enseignement, …) et se perpétue grâce à la Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage. Il doit toujours être conforté car il garantit la cohésion de la France.
C’est cette vie pleine et généreuse, cette œuvre riche et forte que vous avez honorée, monsieur le président de la République, lorsque vous avez remis à Maryse Condé le 2 mars 2020 la Grand-Croix de l’Ordre national du mérite. Elle est alors devenue la première femme noire à accéder à cette dignité dans l’histoire de notre pays. Une première exceptionnelle, passée hélas inaperçue.
Sa disparition invite à renouveler cette reconnaissance qui lui est due. La tradition permet en effet à celles et ceux qui ont été ainsi distingué.e.s par la République de bénéficier d’un hommage national. Monsieur le président de la République, personne ne mérite plus cet honneur que Maryse Condé.
- Jean-Marc Ayrault, ancien Premier ministre, président de la Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage
- Christiane Taubira, ministre de la justice (2012-2016)
- Pascal Blanchard, historien
- Pierre-Yves Bocquet, ancien conseiller à la présidence de la République
- Jean-François Carenco, ancien ministre des outre-mer
- Myriam Cottias, directrice de recherche au CNRS, ancienne présidente du CNMHE
- Rokhaya Diallo, journaliste et réalisatrice
- Karfa Diallo, fondateur-directeur du réseau Mémoires et Partage, conseiller régional Nouvelle-Aquitaine
- Doudou Diène, ancien directeur de la division du dialogue interculturel et du projet de la route de l’esclave de l’Unesco
- David Diop, écrivain
- Laurence Lascary, productrice de l’Autre Côté du périph’
- Alain Mabanckou, écrivain, prix Renaudot
- Aïssa Maïga, actrice et réalisatrice
- Abd al Malik, Rappeur, écrivain et metteur en scène
- Elisabeth Moreno, ancienne ministre, présidente Ring Africa, présidente Femmes @Numérique
- Erik Orsenna, écrivain
- Euzhan Palcy, réalisatrice
- Audrey Pulvar, adjointe à la maire de Paris
- Harry Roselmack, auteur, producteur
- Rouguyata Sall, journaliste
- Aïssata Seck, directrice de la Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage
- Claudy Siar, journaliste, ancien délégué interministériel
- Leïla Slimani, écrivaine
- Maboula Soumahoro, écrivaine et maîtresse de conférences, Fellow, Institute for Ideas and Imagination, Columbia University
- Omar Sy, acteur et producteur de cinéma
- Dominique Taffin, conservatrice générale du patrimoine et ancienne directrice de la Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage
- Lilian Thuram, président de la Fondation Education contre le Racisme, pour l’Egalité
- Louis-Georges Tin, ancien président du Cran, le Conseil représentatif des Associations noires.
- Françoise Vergès, autrice, présidente du Comité pour la Mémoire de l’Esclavage (2009-2021)
