La deuxième naissance
des départements d'outre-mer

Le 19 mars 1946, la Guadeloupe, la Martinique, la Réunion et la Guyane Française, les quatre plus vieilles colonies du pays, deviennent officiellement des départements français. Portée par quatre élus issus de ces territoires, Aimé Césaire (Martinique), Léopold Bissol (Martinique), Gaston Monnerville (Guyane) et Raymond Vergès (La Réunion), la loi départementalisation, au départ nommée "loi assimilation", sera promulguée le 19 mars 1946.
Depuis l’abolition de l’esclavage en 1848, les habitants des « vieilles colonies » revendiquaient une égalité véritable avec ceux de la métropole. Sous la Révolution Française, une première départementalisation avait existé entre 1795 et 1799. Parce que ce statut signifiait l’égalité des droits avec la métropole, il a été la manière par laquelle la Constitution du Directoire a garanti l’impossibilité de rétablir l’esclavage après l’abolition votée par la Convention le 4 février 1794. Et en prévoyant que les colonies seraient de nouveau soumises à des lois particulières, la Constitution du Consulat a ouvert la voie, dès sa promulgation, à la possibilité d’un rétablissement de l’esclavage, que Bonaparte décidera effectivement en 1802.
Sous la Troisième République, les « vieilles colonies » bénéficiaient au sein de l’Empire Colonial d’un statut préférentiel fondé sur l’idée d’une "plus grande proximité sur le plan culturel et administratif" : ainsi, si la législation métropolitaine ne leur était pas automatiquement applicable, le suffrage universel masculin en revanche s’y appliquait sans restriction, permettant à leurs habitants d’être représentés au Parlement. Et ce sont ces représentants qui, dans l’euphorie de la Libération, parviendront à fédérer de nombreux soutiens au projet de « départementalisation » – le mot sera inventé alors par le plus jeune d’entre eux, le poète Aimé Césaire.
Ils déposeront trois propositions de loi destinées à conférer aux quatre territoires le statut de département afin de les faire participer au destin de la France « sur un pied d’égalité avec les départements métropolitains ». Aimé Césaire, rapporteur de la proposition de loi, ouvrira les débats à l’Assemblée nationale le 12 mars 1946. Après deux jours de débats, l’Assemblée nationale constituante confèrera aux nouveaux DOM « l’égalité institutionnelle ». Mais cette reconnaissance symbolique n’est pas totale : en effet, l’article 73 de la Constitution de la Quatrième République précise que « Le régime législatif des départements d'outre-mer est le même que celui des départements métropolitains, sauf exceptions déterminées par la loi », lesdites exceptions étant particulièrement nombreuses, notamment dans le domaine social. Fondée sur l’idée de « l’assimilation », la départementalisation ne faisait pas l’unanimité, et certains représentants des territoires s’y sont opposés, tel le poète Léon-Gontran Damas, devenu député en 1948 et qui s’opposera à son application en Guyane, parce qu’il y voyait une égalité factice préservant les rapports de domination qu’il rejetait.
Sous la Cinquième République, le mouvement général de décolonisation inspire de nombreux militants et certains élus qui portent la revendication de l’indépendance dans les « vieilles colonies », face à un pouvoir central qui n’avance que très lentement sur le chemin de l’alignement des droits sur la législation hexagonale.
Avec l’alternance en 1981, le gouvernement finit par consentir à donner davantage de pouvoirs aux exécutifs locaux, d’abord dans le cadre des lois de décentralisation, puis par une succession de statuts ad hoc qui ont profondément modifié le paysage institutionnel des DOM depuis vingt ans : création de la collectivité départementale de Mayotte en 2001 (transformée en collectivité unique en 2011), transformation de Saint-Martin et Saint-Barthélémy en collectivité d'outre-mer en 2007, fusion des collectivités régionales et départementales en Martinique et en Guyane en 2015.
Malgré ces évolutions, la revendication d’égalité n’a pas disparu dans ces territoires qui restent marqués par les inégalités issues de leur passé colonial, mais aussi par les conséquences des décisions dérogatoires auxquelles ils ont été soumis, comme l’histoire de l’utilisation du chlordécone aux Antilles l’a souligné – la vente de ce pesticide très toxique n’a été interdite qu’en 1993 en Martinique et en Guadeloupe (son usage persistant encore plusieurs années après cette date), alors qu’elle l’avait été en 1990 dans l’Hexagone, comme une forme moderne de l’exception que la départementalisation avait voulu faire disparaître.
Encore aujourd’hui, le droit applicable à Mayotte, 101ème département français depuis 2009, est en retrait par rapport au reste de la France, pour certaines prestations (ainsi le RSA) comme pour certains droits (ainsi le droit du sol).
Le texte de la loi du 19 mars 1946 :
LOI n° 46-451 du 19 mars 1946 tendant au classement comme départements français de la Guadeloupe, do la Martinique, de la Réunion et de la Guyane française.
L’Assemblée nationale constituante a adopté, le Président du Gouvernement provisoire de la République promulgue la loi dont la teneur suit :
Art. 1 er. — Les colonies de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion et de la Guyane française sont érigées en départements français.
Art. 2. — Les lois et décrets actuellement en vigueur dans la France métropolitaine et qui ne sont pas encore appliqués à ces colonies feront, avant le 1 er janvier 1947, l’objet de décrets d'application à ces nouveaux départements.
Art. 3. — Dès la promulgation de la présente loi, les lois nouvelles applicables à la métropole ls seront dans ces départements, sur mention expresse insérée aux textes.
La présente loi, délibérée et adoptée par l’Assemblée nationale constituante, sera exécutée comme loi de l’Etat.
Fait à Paris, le 19 mars 1956
FÉLIX GOUIN.
Par le Président du Gouvernement provisoire de la République :
Le ministre de la France d'outre-mer,
MARIUS MOUTET.
Le ministre de l’intérieur
ANDRÉ LE TROQUER
Pour en savoir plus :
- Loi en vigueur en 2025
- Archives d'Outre-mer - 1946 : adoption de la loi de départementalisation par Annabelle France-info, date
- Guadeloupe, Guyane, Martinique, La Réunion : la départementalisation à la recherche
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