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photo de Aïssata Seck



Par Florian Dacheux
pour D’ailleurs et d’ici

C’est du côté du quartier des Musiciens aux Mureaux, dans les Yvelines, qu’Aïssata Seck grandit. Là-bas, au cœur d’une ville de banlieue cosmopolite, elle baigne très tôt dans la vie associative locale, sa maman n’hésitant pas à donner des cours d’alphabétisation à des adultes ne sachant lire ou écrire le français. Suivent l’obtention du baccalauréat en 1997, puis un BTS de secrétaire de direction avant son installation en 2001 à Bondy en Seine-Saint-Denis. C’est le début de la vingtaine et Aïssata s’interroge, chaque jour un peu plus, sur sa condition de femme noire dans une société aux identités plurielles. « Ce qui m’a frappé au départ, c’est notre manque de représentativité dans les différentes institutions », affirme celle qui se lie d’amitié dès 2008 avec d’anciens tirailleurs sénégalais qu’elle croise régulièrement sur le marché. Un tournant décisif pour cette petite fille d’un tirailleur resté au pays après la guerre, et décédé en 1979. « Ils arboraient souvent leurs médailles sur leurs vestons, se souvient-elle. Leur histoire et leur vécu me passionnaient. J’ai découvert les obstacles qu’ils rencontraient pour être naturalisés. Je me suis dit que c’était impossible qu’on leur refuse : à l’époque on ne leur a pas demandé de papiers pour aller au front. »


Les oubliés de la République
Bien décidée à réparer cette injustice, Aïssata décide alors de s’engager en politique. Un master de communication politique et publique de plus en poche, elle prend sa carte au PS et fait campagne pour François Hollande en 2012. Deux ans plus tard, elle est élue conseillère municipale à Bondy puis maire adjointe en 2016. Sa délégation ? Anciens combattants et devoir de mémoire. « Tout le monde m’a demandé pourquoi je souhaitais autant cette délégation, confie-t-elle. Mais j’avais en tête le combat de la naturalisation des tirailleurs. C’était la suite logique de mon engagement associatif depuis les émeutes en 2005. J’avais envie de faire bouger les lignes. » Tout s’enclenche par une pétition en ligne où elle alerte l’opinion publique sur l’histoire de ces oubliés de la République. Après moult relances, elle réussit à mobiliser un journaliste du Monde. L’article, publié la veille du 11 novembre 2016, fera décoller son appel relayé par plus de 60 000 signataires, et jusqu’au sommet de l’Elysée. Le 15 avril 2017, 28 tirailleurs sont enfin naturalisés.


 À ce moment-là, j’ai pris conscience à quel point le sujet était éminemment politique. Je me suis demandé de quelle manière leur histoire pouvait être transmise. Il reste encore beaucoup à faire sur la reconnaissance, la transmission et l’enseignement de l’histoire coloniale. 


Un immense chantier pour lequel sa casquette d’élue ne suffit plus. Alors commerciale chez Alternatives Eco, elle décide de postuler pour la toute jeune Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage (FME). Retenue pour un poste de responsable du programme Citoyenneté, jeunesse et territoires, elle allie aujourd’hui à son grand bonheur engagement citoyen et professionnel. « On bénéficie d’un poids important pour faire passer des messages. On a passé une convention avec l’État et comptons des partenaires privés. Notre objectif est d’inscrire l’esclavage colonial comme un fait majeur de l’histoire de France et de faire connaître ses héritages multiples afin de lutter contre toute forme de racisme et de discrimination. C’est d’agir pour l’intérêt général. »


Agir de ville en ville
Agir. Le maître-mot d’Aïssata. À l’origine d’une lettre ouverte adressée aux maires pour impulser davantage de références aux soldats coloniaux dans les communes, sa persévérance paie et attire la curiosité du président Macron à l’été 2019. Initialement non programmée, une cérémonie pour le 75e anniversaire du Débarquement du 15 août 1944 en Provence a finalement lieu à Saint-Raphaël. Depuis le Var, le chef de l’État lance un appel aux maires de France leur demandant de nommer ou renommer des rues, des places, des écoles, en hommage aux héros oubliés des colonies.


Ce débarquement, c’est quand même 235 000 combattants dont 90% des troupes viennent du Sénégal, d’Algérie, du Maroc, des Antilles ou du Pacifique », rappelle Aïssata. Depuis, les fameuses lignes bougent lentement malgré l’édition par le Ministère des Armées d’un livret rassemblant les parcours de cent combattants de la Seconde Guerre mondiale, issus des colonies de l’Empire français. « Honnêtement, c’est compliqué de mobiliser les maires, avoue Aïssata. On sent que ce n’est pas une priorité. C’est pourquoi il faut se saisir des nouveaux plans de rénovation urbaine et des constructions de nouvelles écoles. 

« On dit aux élèves qu'ils font tous partie de l'histoire de France. »
Consciente d’œuvrer dans les mailles d’un sujet tabou autour duquel même le corps enseignant manque de repères et de supports pédagogiques, Aïssata sait bien où l’enjeu se situe. Dans les écoles, les musées et les médias. Question de visibilité. « Il faut que les municipalités s’en donnent les moyens en associant les habitants », insiste-t-elle. À l’instar de Bordeaux où des plaques explicatives ont été apposées sous le nom des rues qui portaient des noms d’anciens négriers. Ou encore à Pierrefitte en Seine-Saint-Denis : le conseil municipal des enfants se rendra prochainement à Chasselay, où 48 soldats du 25ème régiment de tirailleurs sénégalais furent exécutés par les Allemands en juin 1940. « C’est encourageant, poursuit celle qui est désormais conseillère municipale d’opposition à Bondy depuis les dernières élections municipales. On a fait le tour de plusieurs écoles et je peux vous dire que de nombreux enseignants sont demandeurs d’outils. On dit aux élèves qu’ils font tous partie de l’histoire de France. Que l’on soit Noir ou Blanc, il s’agit d’une histoire commune à partager. On ressent un soulagement chez un certain nombre d’entre eux, notamment ceux issus de la diversité qui, parfois, ne se sentent pas citoyens français à part entière. » 


Les 20 ans de la Loi Taubira
Derrière cette volonté de regarder notre histoire en face et non de « s’auto-flageller » selon les dires du premier ministre Castex, il y a chez Aïssata Seck cette envie d’apaiser certaines tensions afin de tendre vers un véritable vivre ensemble. Une certaine idée de la France plurielle qu’elle entend faire émerger au printemps 2021, à l’occasion des 20 ans de la Loi Taubira* jusqu’ici encore trop peu appliquée. Dès le 27 avril, date anniversaire de l’abolition de l’esclavage, la Fondation entamera un Mois des Mémoires, jusqu’au 10 juin, et une cérémonie en Guyane, en allant bien plus loin que les traditionnels dépôts de gerbe.


La FME signera une convention fin janvier avec l’Association des Maires de France afin d’encourager un maximum de communes à renouveler leurs cérémonies. Des partenariats naissent peu à peu avec l’Agence du Service Civique, Unis Cité et la Ligue de l’Enseignement. Du Musée du Louvre au Paris Noir de Kévi Donat, la FME compte multiplier les parcours pédagogiques en s’appuyant sur des ressources éducatives ambitieuses, à commencer par la publication prochaine d’un centre de ressources documentaires. Autant d’outils émergents afin que tout ce beau monde passe des paroles aux actes. Tel est l’impact souhaité.
 
* Adoptée le 10 mai 2001 et arrachée de haute lutte par Christiane Taubira, députée de Guyane, cette loi reconnaît la traite de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité.
“Article 1 : La République française reconnait que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l’océan indien d’une part et l’esclavage d’autre part, perpétrés à partir du 15è siècle aux Amériques et aux Caraïbes, dans l’océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l’humanité”.