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« Haïti brûle, cessons de regarder ailleurs. » 
Un appel du conseil d’administration de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage en faveur du peuple haïtien. 


Dans une déclaration adoptée par son conseil d’administration le 4 avril 2024, la FME appelle à la solidarité en faveur du peuple haïtien, alors que la capitale et une partie du pays sont otages des gangs criminels.

Le CA de la FME demande plus particulièrement au gouvernement français :

  • d’assumer son rôle de puissance membre permanent du conseil de sécurité des Nations Unies en travaillant à une réponse internationale rapide, à la mesure de l’ampleur de la crise ;

  • d’adapter sa politique d’accueil des réfugiés haïtiens, notamment en suspendant toutes les obligations de quitter le territoire français vers Haïti, au regard de l’extrême gravité de la situation dans le pays ;

  • de mobiliser davantage en faveur d’Haïti les outils qu’elle a mis en place ou auxquels elle participe, comme le programme PAUSE pour les scientifiques et les artistes en exil, ou l'Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones en conflit ;

  • d’ouvrir la question de la réparation à l’égard du peuple haïtien, comme nous y invite un mouvement mondial dans lequel d’autres démocraties européennes se sont déjà engagées, comme l’Allemagne et les Pays-Bas ;

  • d’inviter les institutions françaises dont l’histoire est indissolublement liée à l’histoire d’Haïti à s’associer elles aussi à cette démarche de reconnaissance, comme l’ont fait avant elles des institutions telles que les banques nationales d’Angleterre et des Pays-Bas.

La FME a adressé cette déclaration au président de la République, au Premier ministre, au Parlement (présidences, délégation aux outre-mer, commissions des affaires étrangères, groupe d’amitié France-Haïti), aux ministres de l’intérieur et des affaires étrangères ainsi qu’au secrétaire général des Nations Unies.

 

DECLARATION DU CONSEIL D’ADMINISTRATION 
DE LA FONDATION POUR LA MEMOIRE DE L’ESCLAVAGE
4 avril 2024

Onze millions de personnes sont aujourd’hui les otages directs ou indirects d’une criminalité devenue hors de contrôle dans la zone de la capitale Port-au-Prince et d’une partie de l'Artibonite. Les services publics ne peuvent plus assurer leurs missions. Les déplacements sont entravés. La vie culturelle, économique et sociale du pays est perturbée, voire interdite par endroit. Les maladies se développent. La famine menace. Celles et ceux qui le peuvent quittent le pays pour un exil incertain, chaque nouveau départ agissant comme une confirmation de l’absence d’horizon dans laquelle la population restante est aujourd’hui enfermée. 

Cette dégradation de la situation à Haïti n’a pas commencé hier. Elle est le fruit d’une longue suite d’instabilité politique, de crises économiques et de désastres naturels qui prend naissance dans l’histoire coloniale du territoire, dont les stigmates n’ont jamais pu être effacés. Ils ont même été aggravés par les ingérences extérieures, dont la première a été l’exorbitante indemnité que Charles X a imposée en 1825 au pays tout juste libéré du joug colonial de la France, pour dédommager les anciens maîtres esclavagistes chassés de l’ancienne colonie. Le poids écrasant de cette ponction a été redoublé au 20ème siècle par l’occupation américaine et la complaisance avec laquelle Washington a ensuite composé avec la dictature des Duvalier père et fils. Si ces lourds héritages continuent de peser sur la situation actuelle en Haïti, celle-ci est aussi le résultat des échecs d’élites politiques et économiques qui de gouvernement en gouvernement ne sont pas parvenues à résorber les fractures d’une société restée profondément inégalitaire.

Face à ces injustices, la population haïtienne a toujours fait preuve d’une force et une vitalité exceptionnelles. Nous récusons en effet l’idée d’une « malédiction d’Haïti » qui attribuerait les malheurs de ce pays à quelque force obscure, sous laquelle il n’est pas difficile de voir à la fois la méfiance séculaire des grandes puissances à l’égard d’un peuple dont la révolution précoce a en son temps contredit tous les préjugés colonialistes, et qui est aujourd’hui l’excuse commode d’une communauté internationale apathique face à un pays qui se noie sous nos yeux. Mais pour la nation haïtienne pas plus que pour le reste des nations du monde, le malheur n’est une fatalité. Il est avant tout le produit des actions mal avisées des uns et de l’inaction indifférente des autres.
Parce que nous sommes les membres du conseil d’administration de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, institution française dont la mission est de transmettre l’importance de l’esclavage et des combats pour son abolition dans notre histoire, nous savons tout ce que nous devons au peuple haïtien, qui, par sa résistance et sa résilience, a achevé le projet de la Révolution en mettant fin à l’esclavage en 1793 et ébranlé le système colonial en arrachant son indépendance il y a plus de deux siècles. C’est la raison pour laquelle nous affirmons que, pour les autorités françaises, quand il s’agit d’Haïti, une responsabilité historique s’ajoute au devoir d’humanité. 

Il ne s’agit pas de se substituer aux Haïtiennes et aux Haïtiens, qui aspirent comme tous les peuples à retrouver le pouvoir de se gouverner eux-mêmes ; mais de marquer à leur égard à la fois la nécessaire solidarité qu’appelle l’urgence de la situation, et l’indispensable réparation qu’appelle l’injustice fondamentale de la double dette de 1825, solde d’un siècle d’exploitation coloniale esclavagiste par la France.

Face à l’urgence tout d’abord, nous appelons la France à assumer son rôle de puissance membre permanent du conseil de sécurité des Nations Unies pour travailler à une réponse internationale rapide, à la mesure de l’ampleur de la crise. Cette réponse doit naturellement être bâtie avec la population haïtienne, mais nous rappelons que la France a également le pouvoir de marquer sa solidarité de façon concrète et autonome, notamment en adaptant sa politique d’accueil des réfugiés haïtiens et en suspendant toutes les obligations de quitter le territoire français vers Haïti, au regard de l’extrême gravité de la situation dans le pays.

Compte tenu de ce qu’est le mandat de la Fondation – la transmission de la mémoire de l’esclavage et des combats pour son abolition par la recherche, la culture, l’éducation –, nous invitons également la France à mobiliser davantage en faveur d’Haïti les outils qu’elle a mis en place ou auxquels elle participe, comme le programme PAUSE, pour les scientifiques et les artistes contraints à l’exil, ou l'Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones en conflit.

Quant à la réparation, il est temps aujourd’hui d’ouvrir cette question, comme nous y invite un mouvement mondial dans lequel d’autres démocraties européennes se sont déjà engagées, comme l’Allemagne et les Pays-Bas. Avant d’être une finalité, la réparation est une démarche, qui permet d’ouvrir un dialogue nouveau avec les sociétés issues de l’esclavage, de s’interroger sur l’empreinte que ce passé a laissée sur notre monde – en particulier le racisme et les discriminations que subissent encore aujourd’hui les personnes d’ascendance africaine, principales victimes de la traite et de l’esclavage colonial –, et de travailler, ensemble, à des gestes de reconnaissance, ainsi qu’aux actions qui permettront de combattre les héritages négatifs de cette histoire.

Dans cette perspective, nous appelons enfin les institutions françaises dont l’histoire est indissolublement liée à l’histoire d’Haïti, à reconnaître ce lien, à aider les chercheurs qui travaillent à mieux le comprendre et les institutions qui travaillent à mieux le faire connaître, à l’instar des institutions étrangères qui se sont déjà engagées dans cette démarche, comme les banques nationales d’Angleterre et des Pays-Bas, et à faire de l’année 2025, bicentenaire de l’ordonnance de Charles X, un grand moment de mémoire, de solidarité et d’humanité partagées entre la France et Haïti.

C’est ainsi que la France se montrera digne de l’idéal universaliste qu’elle a proclamé en 1789, et que les révoltés de Saint-Domingue ont si radicalement réalisé en se libérant par eux-mêmes de l’esclavage, et en donnant naissance à la nation haïtienne il y a 220 ans cette année.
 

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