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Saartje Baartman
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Sarah ou Saartjie Baartman est une femme khoïsan d’Afrique du Sud dont le corps a été exposé et exploité en Europe au 19ème siècle en raison de sa morphologie atypique.

Sarah Baartman est née en 1789 dans la colonie alors néerlandaise du Cap (actuelle Afrique du Sud), d’un père Khoïkhoï et d’une mère San, les deux peuples les plus anciens de la région. On ne connaît pas son nom de naissance. Elle est réduite en esclavage dès son plus jeune âge avec ses frères et sœurs par des agriculteurs boers, colons blancs hollandais d’Afrique du Sud. Elle et ses sœurs sont rachetées en 1807 par Hendrick Caesar, un fermier voisin, qui la prénomme Sarah (Saartjie en néerlandais, le suffixe « -tjie » ajoutant une nuance de familiarité traduisant le mépris racial).

En 1810, alors que le chirurgien Alexander Dunlop visite l’exploitation de Caesar, il aperçoit Sarah, dont la morphologie retient son attention. En effet, cette dernière est atteinte de stéatopygie, une hypertrophie de la chaîne postérieure, ainsi que d’une macronymphie, une élongation des organes génitaux. Dunlop et Caesar décident alors de s’associer pour exploiter ces particularités de la jeune femme en la livrant à la curiosité malsaine des spectateurs des zoos humains d’Europe. Elle embarque pour l’Angleterre en avril 1810, persuadée par ses « managers » qu’elle y ferait fortune en tant qu’artiste et devient la « Vénus hottentote » (ce dernier terme est un mot colonial désignant les populations Khoïkhoï), une attraction de foire que les Londoniens viennent découvrir à Picadilly dès juillet 1810.

Le 24 novembre 1810, l’African Institution, une organisation anti-esclavagiste britannique, intente un procès à Hendrik Caesar devant la Cour royale de justice de Londres, l’accusant d’avoir violé l’acte d’abolition de la traite des esclaves de 1807 (Slave Trade Act) et d’exhiber Sarah de manière indécente. Mais l’association perd son procès après la déclaration de Sarah indiquant à la Cour qu’elle agit librement en tant qu’artiste associée à son ancien propriétaire, et la présentation par Caesar d’un contrat fixant sa rémunération à douze guinées par an.

La suite de son histoire laisse cependant deviner un certain degré de coercition dans ses performances. En 1814, elle est amenée en France par Henry Taylor, un dresseur d’animaux à qui Caesar l’a manifestement cédée. Elle est alors présentée au public parisien, sous le contrôle d’un promoteur nommé Jean Riaux qui l’exhibe au Palais-Royal pendant 15 mois, livrant son corps à la curiosité salace des spectateurs qui la scrutent et la palpent. Elle se retrouve alors piégée dans cette enveloppe charnelle à laquelle elle est entièrement réduite. D’après Sylvie Chalaye : « Saartjie s’est retrouvée enfermée dans un corps cercueil de son vivant, et ce n’était pas l’anima qui intéressait les spectateurs dans la dimension vivante du spectacle qu’elle donnait, mais bien l’animation sensationnaliste d’un corps imaginé. »

Transformée en objet de divertissement exotique et sexuel, elle sombre dans l’alcoolisme et meurt en 1815, à 26 ans, sans que son corps ne trouve pour autant le repos, puisqu’il sera alors disséqué, étudié et exposé par des médecins et biologistes à des fins de classification anthropométrique et raciale. C’est le grand savant Georges Cuvier qui pratique la dissection et publie ses observations dans la revue du Museum d'Histoire Naturelle. Il décrit un visage simiesque, un fessier proche de celui des signes mandrills, des organes génitaux protubérants, et, s’il dément l’idée, alors défendue par d’autres savants, de son appartenance à une espèce humaine différente, il développe largement dans son rapport ses remarques sur la proximité des caractéristiques physiques de la jeune femme avec celles des singes, qui alimenteront tout au long du 19ème siècle une vision essentialiste et déshumanisante du corps féminin noir.

Le mémoire de Cuvier fournit néanmoins quelques détails qui montrent les talents bien réels de Sarah Baartman, signes de son humanité négligée par ses observateurs contemporains : il note ainsi qu’elle parlait un bon néerlandais, « savait un peu d’anglais, et commençait à dire quelques mots de français », qu’elle aimait danser « à la manière de son pays », et était capable de jouer de la guimbarde (un petit instrument de musique constitué par une lamelle vibrante).

Ce n’est pourtant pas cela que les institutions muséales françaises ont retenu et montré d’elle : pendant plus d’un siècle, on a pu voir à Paris son squelette et un moulage de son corps exposés, d’abord au jardin des Plantes jusqu’en 1878, puis au musée de l’Homme. Ils y seront présentés au public une dernière fois en 1994, alors que, depuis l’Afrique du Sud sortie de l’apartheid, des demandes sont adressées à la France par les populations Khoïsan pour que le corps de Sarah Baartman puisse retrouver sa terre natale, et y reposer enfin avec dignité.

Mais parce que les restes de Sarah Baartman appartenaient alors aux collections publiques françaises, il a été nécessaire de prendre une loi spéciale – la loi n° 2002-323 du 6 mars 2002 relative à la restitution par la France de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman à l'Afrique du Sud –pour que la France puisse effectivement les restituer à son pays. Le 9 août 2002, journée nationale de la femme en Afrique du Sud, elle est inhumée lors d’une cérémonie nationale sur les bords du fleuve Gamtoos où elle est née.

Objet d’une fascination dégradante en son temps, Sarah Baartman est devenue aujourd’hui le symbole de l’imaginaire colonial et raciste de l’Occident au 19ème siècle, et des violences qui en découlent. Les spectacles où elle fut exhibée sont les prémices de l’industrie des zoos humains et des expositions coloniales qui prospéra tout au long des 19ème et 20ème siècles. À travers son histoire et sa dignité confisquée ce sont des millions de femmes et d’hommes noirs qui ont été déshumanisés.

La pièce de théâtre Vénus, il était une fois signifie maintenant de Lolita Monga (2008) et le film Vénus noire d’Abdellatif Kechiche (2010) retracent son histoire. La chorégraphe Chantal Loïal lui a dédié en 2011 sa performance chorégraphique intitulée On t’appelle Vénus, qu’elle interprète seule en scène, restituant à Sarah Baartman la dignité de son corps libéré des fantasmes du spectacle et des errements de la pseudo-science des races qui ont fait d’elle cette femme au destin de martyre piégée et dépossédée par le pouvoir colonial.
 

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