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Bio Célimène
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Marie-Monique Jans, dite Célimène


La première rappeuse de La Réunion

Célimène, de son vrai nom Marie-Monique Jans, est une chanteuse réunionnaise du 19ème siècle qui s’est fait connaître par ses chansons satiriques, reflets de son regard acéré sur la société de l’île après l’abolition de l’esclavage.

Marie-Monique Jans naît le 20 avril 1804 à Saint-Paul (La Réunion), d’un père métis descendant d’affranchis, Louis-Edmond Jans, et d’une mère métisse et esclave, Marie-Candide. Sous la Révolution, La Réunion n’a pas connu l’abolition de l’esclavage, les colons ayant réussi à s’y opposer. L’union des parents de Marie-Monique est donc clandestine, car  le « Code Delaleu », actualisation des Lettres Patentes qui ont décliné le Code Noir dans l’océan Indien en 1723 prohibait les mariages mixtes entre libres et non-libres. Témoignage des métissages de la société réunionnaise, selon certains elle descendrait par sa mère  d’Evariste de Parny, membre de l’Académie Française, qui aurait eu des relations avec sa grand-mère d’origine malgache qui était réduite en esclavage auprès de la sœur d’Esther Lelièvre, la muse de l’écrivain.

En 1811, Louis-Edmond Jans affranchit sa femme et sa fille, qui deviennent donc des « libres de couleur », catégorie intermédiaire entre les personnes libres présumées blanches et les personnes réduites en esclavage. Affranchis ou descendants de personnes ayant connu l’esclavage, les libres de couleur font alors l’objet de discriminations qui ne seront abolies qu’en 1833 par la Monarchie de Juillet. 

C’est dans ce monde de violence institutionnelle et de préjugés que grandit Marie-Monique Jans. Veuve à trente ans alors qu’elle vient d’avoir une fille, elle se remarie avec un gendarme venu de Dordogne, Pierre Gaudieux, avec qui elle aura six autres enfants. Le couple possède une petite propriété héritée de la mère de Marie-Monique, sur laquelle travaillent six personnes réduite en esclavage. En 1850, ils achètent une auberge à La Saline grâce aux indemnités que Marie-Monique a touchées du gouvernement français après l’abolition en tant qu’ancienne propriétaire d’esclaves, conformément à la loi d’indemnisation du 30 avril 1849.

C’est là que Marie Monique veuve Gaudieux (son mari est mort emporté par la variole en 1853) va devenir Célimène, la « Muse des Trois-Bassins » : pour égayer ses clients, elle chante en effet sous ce nom des chansons humoristiques, en s’accompagnant à la guitare. Elle écrit elle-même ses textes, en vers et en prose, en français et en créole, où elle épingle avec verve les travers de la société coloniale locale, moquant élus et grands propriétaires, tout en exprimant ses tourments de femme métisse, victime d’un préjugé de couleur que l’abolition n’a pas fait disparaître – elle  le dénonce dans sa composition la plus connue, intitulée « Sacouillé le préjugé ». L’enseigne de son auberge annonce dès l’entrée l’esprit du lieu : « Hôtel des hommes d’esprit, les imbéciles doivent passer sans s’y arrêter ».

Sa réputation grandit et dans les années 1860 elle est une figure populaire de La Réunion, reconnue comme telle par la presse et les chroniqueurs du territoire. Elle est ainsi évoquée par Louis Simonin dans la revue à diffusion nationale Le Tour du Monde, et immortalisée avec sa guitare par une gravure d’Antonin Roussin pour son Album de La Réunion de 1862. 

Mais cette reconnaissance ne lui apportera pas la fortune : l’année suivante, La Réunion est frappée par trois cyclones et connaît une grave crise économique. Marie-Monique/Célimène est obligée de revendre son auberge en 1863. Elle retrouve Saint-Paul, est prise en charge par l’hospice des indigents et meurt dans la pauvreté le 13 juillet 1864.

La figure et l’œuvre de Célimène ont été redécouvertes une première fois dans l’entre-deux-guerres, alors que les autorités de la colonie cherchent à célébrer les racines de la société réunionnaise de l’époque. Sa guitare est donnée au musée Léon Dierx (elle appartient aujourd’hui aux collections du Musée Villèle). 

Depuis les années 1990, elle est vue comme une pionnière de la culture populaire réunionnaise, et une inspiration pour de nombreux artistes locaux comme les musiciens Laurent Horau et Patrick Sida qui baptisent leur duo « Célimène » en 1996, ou le chanteur Jim Fortuné qui lui dédie sa chanson « Célimène ». Son nom est par ailleurs donné à plusieurs lieux de l’île (un piton volcanique, un collège à La Saline…), ainsi qu’à un prix récompensant les artistes réunionnaises créé par le conseil départemental en 2005, auquel il a ajouté un prix Célimène Junior destiné aux élèves de collège en 2017.

Image par ses origines de la complexité de la société réunionnaise, femme debout qui n’hésitait pas à se moquer des hommes et des pouvoirs établis, artiste autodidacte reconnue de son vivant, Célimène est aujourd’hui un symbole d’émancipation et de fierté pour tout le territoire.


 

Sources d'informations

  • La vie de Célimène est évoquée dans la bande dessinée « 5 Réunionnaises Cinq destins » (l’épisode consacré à Célimène est scénarisé par Gilles Gauvin et Jean-Marc Pécontal et illustré par Nathacha Eloy), éditions Epsilon (La Réunion), 2022