Nègre Joseph, Joseph le Maure
Joseph, né dans l’esclavage à Saint-Domingue, est devenu à Paris un modèle réputé mondialement connu grâce au « Radeau de la Méduse » de Géricault.
On connaît bien son visage et son corps. On connaît son prénom et ses surnoms : le “Nègre Joseph” ou “Joseph le Maure”. Mais on sait peu de choses sur l’homme. Joseph serait né vers 1793 à Saint Domingue (l’actuelle Haïti), au moment où la population servile révoltée se libère de l'esclavage. Il serait arrivé en Europe par Marseille une dizaine d'années plus tard.
Mais c’est à Paris que sa carrière décolle : d’abord engagé dans une troupe d’acrobates, il se fait remarquer pour sa carrure athlétique et ses larges épaules. Une allure qui répond aux clichés de l’époque sur le corps noir, exotique et stéréotypé. Il est remarqué par le peintre Théodore Géricault avec lequel il tisse des liens d’amitié. Ce dernier, engagé dans la lutte abolitionniste à travers son art, fait notamment poser Joseph sur sa célèbre toile, le Radeau de la Méduse (réalisée en 1818/1819). Il sert de modèle aux trois silhouettes d’hommes noirs qu'on peut voir sur le tableau, dont celle du marin qui domine la pyramide humaine sur le radeau à la dérive, et qui, en agitant le foulard du dernier espoir collectif, donne son sens universaliste et anti-esclavagiste au tableau.
L’oeuvre a un tel retentissement qu’elle ouvre les portes d’autres ateliers de peintres à Joseph. Il devient l'un des trois modèles masculins officiels de l’Ecole des Beaux Arts, pour un salaire correspondant à un quart de celui d'un professeur de l'Ecole. Il pose pour Horace Vernet, Théodore Chassériau (à la demande d’Ingres), Adolphe Brune, Charles Gleyre... La présence récurrente dans les ateliers parisiens de ce modèle qu'on disait “jovial”, selon les stéréotypes de l'époque, entraîne la publication d’un article par Le Figaro en 1858 : “Il n'est pas en France un seul artiste, peintre ou sculpteur qui ne connaisse Joseph le nègre, le plus beau modèle qui ait couru les ateliers de Paris”.
Par son charisme, par son professionnalisme, par la longévité de sa présence à Paris, il a incarné aux yeux des générations d'artistes qu'il a inspirées - et des admirateurs de leurs oeuvres - une figure humaine de l'altérité, à une époque où le racisme biologique animalisait au contraire les Africains. Devenu vieux, on perd sa trace et c'est dans l'anonymat et le dénuement qu'il est mort, sans doute autour de 1860/1870. Reste le souvenir de ses traits et de son corps, démultiplié dans des oeuvres dont la puissance et l'humanité continuent de nous frapper, deux siècles après.
Sources d'informations
Pour aller plus loin :
- podcast les Enquêtes du Louvre
- Joseph le Maure (auteur Bona Mangangu, 2016)
- France Culture, interview de Bona Mangangu
- Joseph, article de Isolde Pludermacher dans le catalogue de l'exposition "Le Modèle Noir" (Musée d'Orsay, 2019)