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Hégésippe Légitimus, ou le "Jaurès Noir"
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Genre
Homme
Naissance
1868
Décès
1944
Activité
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Le Jaurès noir

Président du Conseil général et député de la Guadeloupe sous la IIIème République, fondateur du Parti socialiste guadeloupéen, Jean Hégésippe Legitimus aura été pour ses contemporains le « Jaurès noir », celui qui a fait entendre la voix des classes populaires noires de la Guadeloupe.

Il naît le 8 avril 1868 à Pointe-à-Pitre, d’un père et d’une mère anciens esclaves. Bon élève, il commence ses études à l’école religieuse des Frères de Ploërmel (avant l’institution de l’école publique). Grâce à une bourse, il est l’un des rares Noirs à pouvoir accéder à l’enseignement secondaire. En 1888, il est exclu de son lycée après s’être opposé à l’arbitraire d’un répétiteur contre un de ses camarades. Cet incident le fait connaître.

Pendant plusieurs années, il mène un travail militant dans les quartiers populaires de Pointe-à-Pitre, rassemblant les doléances des humbles, créant le Comité de la Jeunesse Républicaine et le journal Le Peuple, organe socialiste révolutionnaire affilié au parti ouvrier de Guadeloupe, et dont le but officiel était de "défendre les petits et humbles quelque soit la couleur de peau". Grâce à son éloquence et sa plume incisive, il devient le porte-parole des défavorisés de l’île.

Fort de cette notoriété, il se lance en politique. D’abord aux législatives de 1893, qu’il ne remporte pas, puis au Conseil général où il est élu conseiller général du canton de Lamentin, avant d’être porté à la présidence en 1898, l’année où il devient enfin député. Au moment de son élection, âgé de 30 ans, il est l’un des plus jeunes élus de la Chambre. Initialement socialiste guesdiste, il rallie Jean Jaurès en 1899.

A Paris, malgré son statut de parlementaire, il est victime du racisme des journaux, qui se plaisent à le caricaturer selon les stéréotypes antinoirs de l’époque. C’est en fait essentiellement en Guadeloupe qu’il s’investit. Son ascension est parallèle à celle des syndicats ouvriers, dont il est l’un des principaux soutiens dans l’île dans les années 1890. Dans une société encore dominée par les hiérarchies fondées sur la couleur de peau héritées de l’esclavage, il se pose en représentant des Noirs (80% de la population) contre la domination politique des « Mulâtres », qui représentaient la petite bourgeoisie souvent issue des libres d’avant 1848 (17%), et la domination économique des Blancs maîtres des usines (3%). Il travaille à étendre l’école, défend une politique de progrès social et se bat pour l’assimilation du territoire à la République, dans une logique qui conduira à la départementalisation en 1946.

Mais son socialisme est mâtiné de pragmatisme, voire d’opportunisme : en 1903, il scelle un accord avec les puissances économiques de l’île, "L'Entente Capital-Travail", qui lui permettra de dominer la vie politique guadeloupéenne pendant le reste de la décennie. Il est élu maire de Pointe-à-Pitre en 1904 avant de retrouver son siège de député en 1906, puis en 1910, dans un climat de violences électorales et fraude de plus en plus oppressant. Poursuivi par la justice, abandonné par ses alliés et critiqué par les militants ouvriers, il met un terme à sa carrière politique en 1914.

C’est un homme depuis longtemps éloigné de la vie politique que le Front Populaire distinguera en 1937 en lui remettant la Légion d’Honneur. Il meurt le 29 novembre 1944 à Angles-sur-l'Anglin, et il faudra attendre 1947 pour que son corps soit rapatrié en Guadeloupe, où son enterrement attirera une foule témoignant de la persistance du souvenir qu’il a laissé dans l’île – celui du premier grand leader politique de la IIIème République à avoir revendiqué sa négritude et à avoir voulu organiser les classes populaires de la Guadeloupe.

De nos jours, sa mémoire est honorée dans de nombreux endroits en Guadeloupe, à Pointe-à-Pitre la ville dont il a été le maire, mais aussi aux Abymes, à Lamentin, à Petit-Canal ou Marie-Galante… Et son nom est aujourd’hui celui d’une grande famille d’intellectuels et d’artistes, parmi lesquels son fils le journaliste Etienne Légitimus, marié à la comédienne Darling Légitimus, ainsi que son petit-fils le producteur de télévision Gésip Légitimus et son arrière petit-fils le comédien Pascal Légitimus.