Eugénie Eboué-Tell est une résistante et femme politique française d’origine guyanaise. Compagne de lutte de son mari Félix Eboué, qui rallie le Tchad à la France Libre en 1940, elle s’engagera en politique après-guerre en Guadeloupe, dans les rangs socialistes puis gaullistes.
Née le 23 novembre 1889 à Cayenne, Eugénie Tell est petite-fille d’esclaves émancipés en 1848 et fille d’Hypollite Herménégilde Tell, le premier directeur noir du bagne de Guyane. Son appartenance à la bourgeoisie locale lui permet de partir en métropole afin d’y réaliser ses études secondaires au lycée pour jeunes filles de Montauban. Elle y acquiert un certificat d’aptitudes pédagogiques avant de retourner en Guyane comme institutrice à Saint-Laurent du Maroni.
En juin 1922, elle épouse Félix Eboué, membre du corps des administrateurs coloniaux et devient Eugénie Eboué. Elle quitte la Guyane afin de suivre mais aussi seconder son mari dans des tâches administratives liés à ses fonctions en Oubangui-Chari (actuelle République centrafricaine), au Soudan français (actuel Mali) et aux Antilles. Tous deux adhèrent à la SFIO, s’intéressent aux langues et cultures des pays qu’ils fréquentent, et détonnent dans le milieu colonial au sein duquel ils vivent.
L’appel du 18 juin 1940 provoque un tournant important : gouverneur du Tchad, Félix Eboué rallie le pays à la France Libre. Cette décision marque l’entrée en Résistance d’Eugénie, de Félix Eboué et de leurs enfants répartis entre la France et le continent africain, aux côtés du Général de Gaulle. Eugénie Eboué s’engage dans les Forces française libres féminines comme infirmière à l’hôpital militaire de Brazzaville au Congo jusqu’en 1944, un engagement qui lui vaudra la Croix de guerre et la médaille de la Résistance à la fin de la Seconde Guerre Mondiale.
Veuve dès 1944, elle s’engage en politique à la Libération, sous l’étiquette socialiste et en utilisant désormais le double patronyme d’Eboué-Tell, déléguée à l'Assemblée consultative provisoire puis députée de Guadeloupe des deux Assemblées nationales constituantes entre 1945 et 1946. Tout en s’appuyant sur la mémoire de son époux, très vivace dans l’après-guerre, elle défend également les réformes sociales et économiques du gouvernement provisoire auprès de son électorat en Guadeloupe.
Partisane de l’assimilation juridique des territoires d’outre-mer, elle participe au débat sur la loi de départementalisation, qui sera votée en mars 1946. Battue aux législatives de 1946, elle est élue quelques mois plus tard au Conseil de la République (le Sénat de la IVème République), jusqu’en 1952, siégeant d’abord comme socialiste puis comme gaulliste après 1947 à la Commission à l’Education Nationale, à la Commission à l’Intérieur ainsi qu’à la Commission des Outre-mer qu’elle présidera jusqu’en 1951. Dans ses fonctions, elle contribue aussi à l’entrée au Panthéon de Victor Schœlcher et de son mari, en 1949.
Elle s’exprime également sur l’insurrection à Madagascar, sur la loi d’amnistie du 5 janvier 1951 sur les crimes de la Deuxième Guerre mondiale, sur l’égalité dans les départements d’outre-mer, notamment des femmes, en matière de sécurité sociale, de retraite, de congés maternité. Elle défend aussi l’égalité entre les enfants nés de femmes africaines et de soldats français et les enfants français de métropole.
Si elle quitte le Parlement en 1952, elle poursuivra ses engagements à l’Assemblée de l’Union Française, au Conseil économique et social et au sein du conseil municipal d’Asnières. Elle meurt 20 novembre 1972, à 82 ans, après une vie d’engagements et de combats pour la liberté et l’égalité, qui lui ont valu d’être élevée au rang de commandeur dans l’ordre de la Légion d’Honneur ainsi que dans les ordres du Tchad et de la Côte-d’Ivoire.
Elle fait aujourd’hui l’objet d’une campagne pour la faire entrer au Panthéon, où elle rejoindrait son mari qui y repose déjà. Longtemps reléguée dans son ombre, elle est aujourd’hui redécouverte comme une femme engagée, porteuse d’une certaine histoire des outre-mer et héritière des combats de la Résistance et de la France Libre sous les 4ème et 5ème Républiques.
Sources d'informations
- Sa biographie dans le Maitron : https://maitron.fr/spip.php?article23867
- BRUNEEL, Emmanuelle, et TAUANA, Olivia Gomes Silva. « Paroles de femmes noires. Circulations médiatiques et enjeux politiques », Réseaux, vol. 201, no. 1, 2017, pp. 59-85.
- CAPDEPUY, Arlette. Parlement[s], Revue d'histoire politique, vol. hs14, no. 2, 2019, pp. 101-117.
- CAPDEPUY, Arlette. « Quelle place pour Madame Éboué dans le gaullisme de la Ve République ? », Histoire@Politique, vol. 17, no. 2, 2012, pp. 37-50.
- EBOUE-TELL, Eugénie, Anciens sénateurs de la IVème République, Sénat, consulté le 28 février 2023. Lien :
- Les femmes et le pouvoir, Eugénie Eboué-Tell, Dossier d’histoire, Sénat, consulté le 28 février 2023. Lien :