l’ordonnance de charles X
sur l'indemnité d’Haïti

Le 17 avril 1825, le roi Charles X signe l’ordonnance reconnaissant l’indépendance d’Haïti, moyennant le paiement par Haïti d’une indemnité colossale de 150 Millions de Francs, destinée aux anciens propriétaires esclavagistes.

Cette solution marque la volonté du roi de solder enfin le contentieux sur l'indépendance d'Haïti, non reconnue par la France depuis 1804, sans engager trop l’Etat français : la reconnaissance de l’indépendance marque l’abandon du projet d’une réinvasion de la colonie, l’indemnité prélevée sur le peuple haïtien signifie que la somme à régler n’est pas garantie par la France, mais par Haïti.

La forme du texte est le reflet de cette volonté : une ordonnance est un acte souverain et unilatéral du roi, c’est-à-dire ni une loi (qui aurait dû être examinée par le Parlement), ni un traité, car le gouvernement d’Haïti est totalement ignoré. Le contenu de l’ordonnance est plus explicite encore : son article 1 commence par accorder à la France un tarif commercial privilégié pour ses échanges avec Haïti – signe de la volonté de reconquête économique de la France. L’article 2 impose directement aux «habitants actuels de la partie française de Saint-Domingue» le versement de 150 MF (5 années du PIB d'Haïti) à la Caisse des Dépôts et Consignations pour indemniser les anciens colons.

L’article 3 reconnaît hypocritement « l’indépendance » d’Haïti, puisque les deux premiers articles rognent clairement l’indépendance de son gouvernement.

Haïti obtiendra la réduction de l’indemnité de 150 MF à 90 MF par un traité bilatéral en 1838, une somme qu’elle règlera intégralement, au prix d’un sous-développement massif et d’une instabilité politique majeure.

L’ordonnance du 17 avril 1825 est ainsi l’un des premiers actes non seulement de la décolonisation française, en ce qu’il est le premier par lequel la France reconnaît l’indépendance d’une de ses anciennes colonies, mais aussi du « néo-impérialisme financier » caractéristique des relations inégales entre les anciennes puissances coloniales et leurs anciennes colonies que l’on verra se développer dans la 2ème partie du 20ème siècle.

L'archive original a été exposée pendant l'exposition de la FME Oser la liberté, figures des combat contre l'esclavageau Panthéon.

Texte de l'ordonnance

Ordonnance du 17 avril 1825.

Charles, par la grâce de Dieu, Roi de France et de Navarre, à tous présents et à venir, Salut.
Vu les articles 14 et 73 de la Charte,
Voulant pourvoir à ce que réclament l'intérêt du commerce français, les malheurs des anciens colons de Saint-Domingue et l'état prècaire des habitants actuels de cette île,

Nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit :

Article 1. Les ports de la partie française de Saint-Domingue seront ouverts au commerce de toutes les nations. Les droits perçus dans ces ports, soit sur les navires, soit sur les marchandises, tant à l'entrée qu'à la sortie, seront égaux et uniformes pour tous les pavillons, excepté le pavillon français en faveur duquel ces droits seront réduits de moitié.

Article 2. Les habitants actuels de la partie française de Saint-Domingue verseront à la Caisse générale des dépôts et consignations de France, en cinq termes égaux, d'année en année, le premier échéant le 31 décembre 1825, la somme de cent cinquante millions de francs, destinée à dédommager les anciens colons qui réclameront une indemnitié.

Article 3. Nous concédons, à ces conditions, par la présente ordonnance, aux habitants actuels de la partie française de Saint-Domingue, l'indépendance pleine et entière de leur gouvernernent.

Et sera la présente ordonnance scellée du grand sceau.
Donné à Paris, au château des Tuileries, le 17 avril de l'an de grâce 1825, et de notre règne le premier.

Signé Charles

Par le Roi, le Pair de France, ministre secrétaire d'État de la Marine et des Colonies, Comte de Chabrol

Visa : Le Président du Conseil ministre et secrétaire d'État et des finances, J. de Villèle

Vu aux sceaux, le ministre secrétaire d'État garde des Sceaux Comte de Peyronnet

3) Mode d'évaluation du montant de l'indemnité fixée par l'ordonnance de 1825.

Les revenus annuels des propriétés des colons en 1789 étaient évalués, selon un tableau annexé à la loi du 30 avril 1826, à :

48.822.404 francs pour le sucre
70.299. 731 francs pour le café
25.542.664 francs pour le coton, l'indigo et autres produits
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Total : 144.664. 799 francs
Plus : 5.000.000 francs pour les propriètés urbaines
Ensemble arrondi à : 150.000.000 francs

Référence Outre-Mers, 7: 90, lV" 340-341 (2003) - Persée