"Le radeau de la méduse" de
théodore géricault

Le Radeau de la Méduse de
Théodore Géricault


Inspiré d’un célèbre naufrage de 1816, le tableau de Géricault « Le radeau de la Méduse » cache de nombreux messages. Si l’aspect romantique et le réalisme cru de l’œuvre sont bien connus, sa dimension politique et surtout anti-esclavagiste l’est beaucoup moins. Retour sur cette œuvre phare du 19ème siècle.

Au début de l’été 1816, sous la Restauration, le Royaume-Uni doit restituer à la France ses colonies au Sénégal (les comptoirs de Gorée et Saint-Louis). Une flotte de quatre navires quitte la métropole depuis l’île d’Aix, dont la frégate « La Méduse », avec près de 400 passagers (et seulement 6 canots de sauvetage), sous le commandement de Hugues Duroy de Chaumareys, un aristocrate qui n’a pas navigué depuis 25 ans.
Pressé d’arriver, celui-ci choisit de s’écarter de la route habituelle. Le 2 juillet, le navire est immobilisé au large des côtes de la Mauritanie après avoir rencontré un banc de sable bien connu des navigateurs de la région. Les occupants sont alors séparés en plusieurs groupes : alors que le capitaine et l’essentiel des passagers montent sur les chaloupes et qu’une quinzaine de marins restent sur le bateau pour tenter de le dégager, près de 150 marins et militaires sont contraints de s’embarquer sur le radeau instable et dangereux.
Commence alors une longue dérive d’une dizaine de jours. Les vivres manquants, la tension ne tarde pas à monter. Une révolte éclate dès la deuxième nuit et sera réprimée dans le sang par les officiers, les seuls à être armés sur l’embarcation. Les morts s’accumulent et leurs corps finiront par être jetés à l’eau. Selon les témoignages, le 11 juillet 1816, il ne reste plus que 27 survivants à bord dont seuls 15 seront finalement secourus six jours plus tard par l’Argus, l’un des quatre bateaux de l’expédition.

Fasciné par ce drame qui eut un retentissement international et dont les libéraux en France ont fait un symbole de l’incompétence et de la corruption du nouveau régime, Théodore Géricault décide d’en faire une reconstitution dans un tableau monumental, pour lequel il rencontre des survivants et réalise un modèle réduit du radeau. Lors de sa présentation au salon de 1818, l’œuvre fait scandale, déchaînant les critiques des tenants du classicisme, qui n’y voient qu’un « tas de cadavres ». Mais avec le temps la puissance du tableau s’impose et en fait l’une des œuvres majeures du romantisme français.

Un aspect du tableau est longtemps resté ignoré : celui qui fait de lui l’un des plus grands tableaux anti-esclavagistes de l’Histoire. Alors que l’esclavage a été rétabli par Napoléon dans les colonies depuis 1802, et que la traite reprend malgré son interdiction par le Congrès de Vienne, Géricault multiplie en effet les références explicites à ses convictions abolitionnistes et révolutionnaires. Il choisit tout d’abord de faire figurer trois corps noirs dans sa composition, alors qu’il n’y avait qu’un homme noir à bord de la Méduse. L’un est au centre, l’autre en bas à droite tandis que le dernier est à la proue, tenant un linge blanc et rouge à la main comme un drapeau. Associés à son pantalon bleu, les trois couleurs forment le drapeau tricolore, que la Restauration a rejeté pour rétablir le drapeau blanc de la royauté.

Le modèle utilisé par Géricault pour ces trois figures est un homme originaire de Saint-Domingue nommé Joseph, qui y avait subi l’esclavage avant de rallier la France où il devint modèle professionnel à l’Ecole des Beaux-Arts. En le plaçant au sommet de la pyramide humaine formée par les naufragés, le peintre lui donne le premier rôle et lui fait incarner l’espoir dans une composition particulièrement sombre. Mais Géricault va plus loin : en peignant Joseph main dans la main d’un matelot blanc à ses côtés, il reproduit la poignée de main interraciale qui était alors le symbole du mouvement abolitionniste international.

Tous ces signes ont fait dire à l’historien de l’art Bruno Chenique que "Le Radeau de la Méduse"serait rien moins qu’une "allégorie de Saint-Domingue" et un manifeste "pour la fraternité des races", présenté comme tel par Stephane Guégan dans sa contribution au catalogue de l’exposition "Le Modèle Noir" au Musée d’Orsay, où figuraient plusieurs études de Géricault pour ce tableau géant et fragile, qui est aujourd’hui exposé au Musée du Louvre – et continue d’inspirer les artistes (Delacroix, Turner, Courbet, mais aussi Georges Brasses, les Pogues, ou encore IAM et Renaud sur les pochettes de leurs derniers albums, en 2019).

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