KASSAV' Victoire de la musique 1988 
du meilleur groupe français

  • Tim Tim Bwa Sek, Kassav'

Le 19 novembre 1988, Kassav’ Victoire de la Musique du meilleur groupe français

En 1998, au Zénith de Paris, se déroulait la 4e édition des Victoires de la Musique. C’est sous la présidence d’honneur d’Alain Souchon et de Julien Clerc que Kassav’ (la cassave est une galette à base de farine de manioc) remporte la victoire de la musique du groupe de l’année 1988 devant Animo et les Gipsy Kings.
 
Créé à la fin des années 1970 par Pierre-Edouard Décimus et Jacob Desvarieux, Kassav’ est un laboratoire musical au sein duquel sont synthétisées et réinterprétées les musiques de Guadeloupe et de Martinique mais aussi celles de la Caraïbe. Il s’agissait pour les deux artistes guadeloupéens de créer un genre musical qui puisse les représenter ainsi que les Antillais.e.s. En créant le zouk (en créole martiniquais nom donné une soirée très populaire dans un lieu non prévu à cet effet dans les années 1960-1970), ils mêlent les musiques aux tambours gwoka et bèlè (termes polysémiques désignant respectivement les tambours de Guadeloupe (ka) et de Martinique (tanbou bèlè), les danses et genres musicaux dans lesquels ces instruments sont utilisés et la philosophie de vie liée à ces pratiques culturelles. Si le bèlè a souvent été traduit par l’expression bel air aujourd’hui il est employé de la même façon en français et en créole), biguine, mazurka, kadans (merengue haïtien), kadanslypso (mélange de cadence et de calypso), konpa (compas), … et des Amériques le tout en y intégrant les avancées technologiques de l’époque. C’est une façon pour eux de se réapproprier les pratiques musicales des esclavisé.e.s héritées de la période coloniale et esclavagiste dans les deux anciennes colonies.

Dans le contexte des quêtes identitaires et des luttes anticolonialistes Kassav’ et le zouk deviennent objet d’affirmation identitaire et de fierté pour les populations guadeloupéennes et martiniquaises mais plus largement pour les afro-descendants en Hexagone. En effet, ils se retrouvent dans les rythmiques mais aussi dans la plume des membres du groupe qui ont fait le choix de ne chanter qu’en créole guadeloupéen et martiniquais.
Après plusieurs expérimentations, la mouture définitive de Kassav’ est présentée sur le vinyle datant de 1985. On y retrouve le titre phare : An Ba Chen’n La (Dans les fers/ Enchaînés), véritable fiche d’identité du groupe.
 
« A si po an nou ni solèy, adan tjè a nou ni tanbou (…) i za lè pou le mond’savé ke lé Zantiy’ ka ekzisté ke sé lanmou ki koumandé nou. (…) Ni on sèl solèy, ni àn sèl lalin’ é ni on sèl Kassav’ osi ! (…) Zouk la pran an dòt dirèksyon pou esplozé pou inonder le monde entier ! Ça c’est le zouk !»
« Sur notre peau il y a du soleil, dans nos coeurs le tambour. (…) Il est temps que le monde sache que les Antilles existent et que c’est l’amour qui nous commande. (…) Le zouk va exploser et inonder le monde entier ! Ça c’est le zouk ! »
 
Dans une seconde partie la voix de Patrick Saint-Eloi (crooner du groupe) nous raconte la traite atlantique. Kassav’ ne serait pas là sans cette histoire et ils l’affirment avec fierté en chanson.
 
« Nèg la té za konèt nèg la mennen-y dansé bòd lanmè la tou sa pou yo té pé sa maré yo an ba chenn’a bato la ! (…) Ni dé sièk bato la rantré, ni sa ki pa janmen rivé, pask lèspri an nou maré toujou an ba chenn’a bato la ! (…) Sé la bato la ladjé mwen ! Bondyé mèsi mwen byen kontan ! (…) Sé la ke mwen aprann lavi, sé la ke mwen konnèt lanmou. (…) An ba chenn’ la ! An ba chenn’ a bato la ! Maré ! An ba chenn’a bato la sé la listwa mennen nou, jodi la sé ké vini »

« Les noirs savaient comment tromper les noirs, il suffisait de les faire danser près de la mer pour qu’on puisse les enchainés sur le navire négrier. (…) Il y a des siècles que le bateau est reparti, mais certains ne sont jamais revenus, parce que notre esprit est resté enchainé dans le navire négrier ! (…) C’est là que le navire négrier m’a laissé ! J’en suis heureux merci mon Dieu ! (…) C’est là que j’ai grandi, c’est là que je me suis senti aimé. (…) Dans les fers ! Dans les fers du navire négrier ! Enchainés ! Enchaînés dans le navire négrier c’est là que l’histoire nous a conduit, mais aujourd’hui nous y sommes de notre plein gré. »
 
C’est en juin 1985 que le groupe surprend l’ensemble du paysage audiovisuel français. Ils font salle comble au Zénith de Paris qui a ouvert un an plus tôt. Si la capacité du Zénith est de 6 400 places à l’époque, le groupe en vend 8 000 un mois avant la date de leur concert sans aucune promotion. La veille du jour J Kassav’ est pour la première fois sur les petits écrans des Français.e.s dans l’émission Zénith présentée par Michel Drucker. Ils y interprètent Tim Tim Bwa Sèk (Tim tim bois sec, expression créole utilisée dans les contes sous forme de devinette pour faire participer l’assistance), une chanson racontant la tradition des contes aux Antilles, la transmission, l’importance de connaitre son histoire et de cultiver la mémoire.
 
C’est le début de la carrière internationale du groupe, partout où ils jouent ils sont plébiscités.
En 1987, sort l’opus Vini Pou (Viens pour) qui sera disque platine soit 400 000 exemplaires vendus. Cette même année ils signent avec Sony Music. En 1988, ils se produisent au Zaïre, au Cameroun, au Japon, en Nouvelle-Calédonie, à Trinidad et Tobago...
 
Le 19 novembre 1998, les membres de Kassav’ ne peuvent être présents à la cérémonie des Victoires de la Musique au Zénith, ils reçoivent leur prix en duplex depuis Miami où ils ont un concert. Le trophée est remis à leur manager présente à Paris.

La Victoire de la Musique du meilleur groupe français de l’année 1988 sera la seule remportée par le groupe. Pourtant ils sont aujourd’hui l’un des plus grands groupes français au monde.
 
Kassav’ est le 1er groupe français à remplir le stade de France (65 000 spectateurs à l’époque) en 2009 pour ses 30 ans de carrière avec un spectacle qui a duré 4 heures.
 
Après plus de 40 ans d’existence Kassav’ se produit encore partout dans le monde comme au World Music Creole Festival de la Dominique où ils étaient au mois d’octobre 2024. Ils seront à Londres et à la Philarmonie de Paris en mai 2025 dans le cadre de la tournée hommage à Jacob Desvarieux (décédé en 2021) intitulée :« Sé’w nou enmen » (« C’est toi que nous aimons », ils ont adapté le titre de l’une de ses chansons phares écrite en hommage à sa mère :  « Sé’w mwen enmen » « C’est toi que j’aime »).
 
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