Image
suzanne paillé
©

Suzanne Amomba Paillé est une femme noire libre qui défia le préjugé de couleur dans la colonie française de Guyane au 18è siècle.

Elle naît dans l’esclavage à la fin du 17è siècle, en Afrique ou sur l’île de Cayenne selon les sources. Elle est affranchie par son maître suite à la relation qu’elle entretient avec Jean Paillé, un homme blanc, soldat de la garnison et maçon, qui sera congédié en 1704 à cause de ce mariage avec cette femme qualifiée de «négresse».

Les deux époux sont propriétaires d’une habitation de plus de soixante personnes en esclavage qui produit du cacao, de l’indigo (plante de teinture bleue), du café, du roucou (plante de teinture rouge) et des vivres . Les profits de cette plantation sont conséquents, rares sont les habitations d’une telle envergure à l’époque dans la colonie.

Lorsque son mari meurt sans héritier, c’est à Suzanne Amomba Paillé que revient sa fortune. Cette situation suscite jalousies et convoitises à Cayenne, de nombreux colons blancs ne supportant pas qu’une personne de couleur, femme de surcroît, puisse jouir seule d’une telle fortune. Sous leur pression, le procureur du roi obtient en 1741 du Conseil supérieur de la colonie la mise sous tutelle de Suzanne Amomba Paillé : si elle peut jouir de ses revenus, « toute la disposition de ses biens lui [soit] interdite sans l'autorité de la justice ». Une situation justifiée par son état de personne noire et libre. Elle saisit alors la Cour de Justice de la colonie mais perd son procès et sa mise sous tutelle est confirmée en 1742.

La société coloniale ne peut admettre qu’une femme, noire et libre, puisse disposer sans contrôle, d’une telle fortune. Parce qu’elle est prête à assumer seule la gestion de sa plantation et défends son indépendance en passant par la Justice, elle dérange l’ordre établi et va à l’encontre des représentations coloniales sur les personnes noires.

L’affaire de Suzanne Amomba Paillé, ses relations avec les administrateurs et le clergé de Guyane sont révélatrices des contradictions de la société coloniale de l’époque. En effet, alors que l’Edit Royal de 1685, plus tard appelé « Code Noir », organise cette société pratiquant l’esclavage non pas entre Noirs et Blancs mais entre libres et non-libres, la montée en puissance de la population non-blanche issue du métissage est perçue par les colons blancs, qui sont au sommet de la hiérarchie sociale dans la colonie, comme une menace contre leur hégémonie.

En Guyane, comme dans les autres colonies françaises, ils travaillent alors à limiter les possibilités des libres de couleur. Ils essayent même de bannir les unions entre blancs et non-blancs. Ainsi, en 1733 une ordonnance royale tente de mettre un terme aux mariages mixtes en contraignant les blancs qui s’y aventurerait à perdre toute position sociale existante ou à venir : « Je veux que tout habitant qui se mariera avec une négresse ou mulâtresse ne puisse être officier, ni posséder aucun emploi dans les colonies ».

Preuve de la fluidité de ces règles dans la colonie, en décembre 1744, l'ordonnateur D'Albon, après enquête, redonne à Suzanne Amomba Paillé la liberté de disposer de ses biens, après une importante correspondance avec le ministère de la Marine en métropole, qui témoigne de l’attention qui a été portée jusqu’à Versailles au sort de cette femme dont la position ébranlait le préjugé de couleur.

Suzanne Amomba Paillé meurt en 1755 sans enfants et fera de nombreux dons à la colonie et aux oeuvres de Guyane et affranchira certains de ses esclaves. Son destin, d’esclave à propriétaire d’esclaves, sa revendication d’égalité avec les blancs, pour elle-même mais pas pour les dizaines de personnes qui travaillaient dans sa plantation, en font un symbole ambigu de l’émancipation, avant la première abolition générale de l’esclavage en Guyane, en application du décret révolutionnaire du 4 février 1794.

Aujourd’hui, une rue dans le centre-ville de Cayenne porte son nom, la « rue Madame Payé »