Louis Timagène Houat
Romancier du marronnage à La Réunion
Louis Timagène Houat est un écrivain et médecin réunionnais, auteur du premier roman de la littérature réunionnaise et militant de l’abolition de l’esclavage.
Il naît le 12 août 1809 à l’île Bonaparte (le nom de cette époque de l’île de La Réunion). Ce métis est le fils d’un père Bambara de Guinée (l’historien Prosper Eve rattache l’étymologie de son nom de famille au patronyme ouest-africain « Ouattara »), ancien esclave émancipé, et d’une mère blanche. Louis Timagène Houat est donc un « libre de couleur », appartenant au groupe appelé « mulâtres » dans le vocabulaire racial de la colonie.
À seize ans, sa candidature à un poste d’instituteur ayant été refusée, il devient professeur de musique. Sensible aux idées de liberté et d’égalité, il est abonné à la Revue des Colonies, le journal de Cyrille Bissette, le militant martiniquais qui après avoir lutté depuis la Restauration contre les discriminations pratiquées dans les colonies contre les « libres de couleur » (abolies en 1833) est devenu l’un des principaux acteurs du mouvement abolitionniste à Paris. C’est ce qui lui vaut d’être arrêté et emprisonné dix ans plus tard, le 13 décembre 1835 pour « complot contre la colonie visant à éliminer la race blanche de Bourbon ». Sur la foi de témoignages extorqués, le pouvoir colonial l’accuse d’être la tête pensante du « complot de Saint-André », qui aurait visé à soulever la population esclave de l’île. Il est condamné en août 1836 et expulsé de la colonie.
Banni, Louis Timagène Houat retrouve Cyrille Bissette à Paris, où il publie Un proscrit de l’île de Bourbon à Paris (1838), récit de ses mésaventures avec la justice, accompagné de quelques poèmes de sa plume. En 1844, il publie avec Les Marrons ce qui est aujourd’hui considéré comme le premier roman de la littérature réunionnaise. Son titre fait référence au marronnage, c’est-à-dire le fait pour une personne réduite en esclavage de s’enfuir, temporairement ou définitivement. A La Réunion dans les années 1840, le marronnage était une réalité très répandue, les territoires escarpés de l’île abritant de façon permanente de nombreuses communautés de marrons qui constituaient une véritable contre-société en marge du monde colonial, aussi appelée « Royaume de l’intérieur ».
Dans son récit, Louis Timagène Houat fait du marronnage une solution temporaire en attendant l’émancipation future des esclaves : « Patience encore un peu donc. Ça ne peut pas tarder. On l’attend de jour en jour. Ici les blancs ne veulent pas. Mais ça ne fait rien : ils ne sont pas les premiers ; les grands chefs sont là-bas et nous l’aurons […] on ne nous battra pas, et nous serons maîtres de notre corps, avec notre femme et nos enfants, qui resteront à côté de nous, pour faire notre plaisir, et ne plus être malheureux ». Il présente les organisations marronnes comme des sociétés utopiques et libres, dans un livre dont le message porteur d’espoir et de liberté est un appel clair à l’abolition de l’esclavage.
En 1844 également, le Réunionnais Eugène Dayot publie en feuilleton dans un journal local les premiers chapitres de Bourbon pittoresque, un roman resté inachevé qui évoque lui aussi l’esclavage et le marronnage dans la colonie. D’après Christophe Cosker, docteur en littératures francophones, ces deux romans fondent une tradition autour du récit marron qui se retrouve dans le roman réunionnais contemporain, à l’image de Chasseurs de noirs (1982) de Daniel Vaxelaire, ou encore Hallali pour un chasseur (2015) de Jean-François Samlong.
Après s’être lancé dans des études de médecine, Louis Timagène Houat contribue à la recherche dans le domaine de l’homéopathie. Il meurt à Pau le 9 juillet 1883 à l’âge de 73 ans, après avoir passé l’essentiel de sa vie en exil.
L’esclavage avait entre-temps été définitivement aboli à la Réunion le 20 décembre 1848, date d’entrée en vigueur officielle dans la colonie du décret d’abolition du 27 avril 1848. C’est cette date que le territoire a choisie pour le jour férié marquant l’abolition de l’esclavage, le « 20 désanm » aussi appelé « Fèt Kaf », qui est chaque année l’occasion de grandes célébrations populaires dans toute La Réunion.
Longtemps laissé dans l’oubli de ses compatriotes, Louis Timagène Houat a été redécouvert grâce au travail des historiens réunionnais et à la réédition de ses écrits. La ville de Saint-André lui a rendu hommage en inaugurant un buste à son effigie le 7 octobre 2021 au Jardin de la Mémoire. Le 5 avril 2022, à Saint-Denis est dévoilée la fresque “Les Marrons” qui reprend les 189 pages de l’ouvrage éponyme sur près de 450 mètres de long, en hommage au militant injustement condamné, dont le procès colonial a inspiré en 2022 le roman historique Louis Timagène Houat : Un procès politique à Bourbon en 1836 de Jacques Dumora.
Sources d'informations
- Les Marrons, Louis Timagène Houat,Préface de Liliane Houat, Introduction de Raoul Lucas, Presses Universitaires Indianocéaniques, Collection « Fictions », 2021.
- Les Marrons, Louis Timagène Houat, 1844 (réédition L'Arbre vengeur, 2011, préface Eric Dussert) ; édition originale disponible sur Gallica
- « L'esclavage selon Louis-Timagène Houat (1844) », Gallica BNF, 1er janvier 2013
- Un proscrit de l’île de Bourbon à Paris (1838), Louis Timagène Houat
- « Les Marrons (1844) de Louis Timagène Houat : premier roman réunionnais », Christophe Cosker, Acta fabula, vol. 23, n° 10, Essais critiques, Décembre 2022
- « Inauguration du buste de Louis Timagène HOUAT », Ville de Saint-André Réunion, Facebook, 7 octobre 2021
- - « Saint-Denis : inauguration de la fresque “Les Marrons” », Le Quotidien, 23 avril 2023