Kimpa Vita est une prophétesse africaine, figure de la résistance à la colonisation portugaise dans l’actuel Angola au 18ème siècle.
Kimpa Vita serait née vers 1684 dans une famille noble à Mbanza Kongo au royaume de Kongo (dont le territoire couvre l’actuel Angola ainsi que du Gabon et du Congo). Le pays ayant été évangélisé dès la fin du XVe siècle, elle est baptisée sous le nom de Dona Beatriz. Kimpa Vita, le nom africain par lequel elle reste connue, signifie « la jumelle née de la guerre », car elle grandit alors que le royaume est déchiré depuis près de 20 ans par la guerre civile provoquée par les conflits de succession et la volonté de conquête des Portugais, qui tentent de prendre le contrôle du territoire où ils pratiquent la traite esclavagiste depuis le siècle précédent.
Mystique, la jeune fille est élevée dans un mélange spirituel alliant les croyances africaines – elle est formée en tant que nganga marinda, un rôle de médium permettant à la communauté de résoudre les problèmes surnaturels – et la théologie catholique. A vingt ans, elle annonce avoir été visitée par saint Antoine de Padoue, un prêtre franciscain portugais du XIIIe siècle canonisé par l’Église catholique pour ses guérisons et ses miracles, qui l’aurait investie d’une mission divine de réunification du royaume autour de son ancienne capitale São Salvador, nouvelle Jérusalem.
Elle fonde alors « l’antonianisme », un mouvement syncrétique où elle mêle les croyances traditionnelles du Kongo et les enseignements de l’Église catholique romaine, en y ajoutant un discours de fierté noire appelé à un grand avenir : elle déclare en effet la race noire bénie de Dieu, et propose à ses adeptes une africanisation du christianisme, dans laquelle Jésus est noir, né à Mbanza Kongo, et où la Terre Sainte est par conséquent située au Kongo. Pour propager cette doctrine dans tout le pays, elle institue son propre ordre missionnaire, qu’elle envoie à travers le royaume pour la propager son message de fierté et d’émancipation, tout en plaidant pour la restauration politique d’un royaume unifié, libéré de l’influence pesante des puissances européennes, notamment le Portugal.
Dans ses discours comme dans ses actes, elle s’oppose aux missionnaires européens, à ses yeux incapables de répondre aux besoins spirituels des catholiques kongolais, et qu’elle accuse de sorcellerie. Rapidement, elle se constitue une puissante communauté de fidèles, plus de 80 000 à travers tout le Kongo, unis par un enseignement dans lequel l’Eglise catholique ne voit qu’une dangereuse déviance. Dans une lettre du 15 mai 1706, le Père Columbano da Bologna, Préfet des Missions du Congo et d'Angola dénonce les pratiques blasphématoires et hérétiques du mouvement : l’interdiction de l’Ave Maria et de jeûner en Carême, l’admission de la polygamie, la rémission des péchés par l’exposition à la pluie etc.
Dans le chaos politique du Kongo, la montée en puissance de la prophétesse divise les élites locales et alerte le Portugal, la puissance coloniale dominante dans la région. Pour l’historienne Catherine Coquery-Vidrovitch, Kimpa Vita « inquiète beaucoup les colons portugais et l’inquisition. Suffisamment, même, pour qu’on veuille la tuer ». Le pouvoir, associé à l’église, finit par frapper : les missionnaires se saisissent du fait que Kimpa Vita vient de mettre un enfant au monde pour contester sa sainteté et, alliés au roi Pierre IV du Kongo, ils lancent la répression contre le mouvement antoiniste et sa cheffe charismatique. Kimpa Vita est arrêtée, jugée et condamnée au bûcher par l’Inquisition avec son compagnon. Elle est brûlée le 2 juillet 1706, avec son enfant dans les bras, à Evolulu dans l’actuel Angola.
Morte en martyre à 22 ans après avoir redonné l’espoir à un pays en proie à la division et à l’emprise de la puissance coloniale portugaise, mystique au croisement des spiritualités traditionnelles africaines et du message évangélique, figure majeure de son temps ayant suscité de nombreux témoignages de son vivant, Kimpa Vita a laissé une empreinte majeure dans l’histoire des résistances africaines à la colonisation. Son apparition unificatrice dans un pays ravagé par la discorde, sa quête prophétique et sa fin tragique sur un bûcher ne peuvent qu’évoquer l’image d’une Jeanne d’Arc, sa théologie syncrétique marquée par la fierté noire en faisant par ailleurs une précurseuse de l’idée panafricaniste.
Pour toutes ces raisons, elle n’a cessé d’être une référence au sein de nombreux cultes messianiques en Afrique, inspirant jusque dans la première moitié du XXe siècle des prédicateurs congolais et angolais à l’image du matswanisme, du kimbanguisme, ou encore des Églises noires anti-apartheid en Afrique du Sud. Pour l’auteur congolais Nginamau Petelo : « on peut lui attribuer, dans une certaine mesure, la maternité de l’indépendance africaine, au titre d’héroïne de la dignité et de la liberté noire ». Aujourd’hui, une statue a été érigée à sa mémoire à Uíge en Angola, son nom reste un synonyme de résistance nationale et spirituelle dans toute l’Afrique, et son destin extraordinaire ne cesse d’inspirer les artistes et créateurs : en 2024, l’écrivain Wilfried N’Sondé lui a consacré son roman « La reine aux yeux de lune ».
Sources d'informations
- Interview de Wilfried N’Sondé sur RFI à propos de « La reine aux yeux de lune »
- Kimpa Vita, la Jeanne d'Arc d'Afrique, par Sébastien Fath dans Regards Protestants
- « Kimpa Vita, l’étoile révolutionnaire du Kongo », Elodie Descamps, Jeune Afrique, 7 mars 2018