Furcy Madeleine (1786-1856) est un Réunionnais qui au 19ème siècle s’est battu pendant plus de 25 ans devant la justice française pour faire reconnaître son statut d’homme libre.
Furcy naît dans l’esclavage sur l’île de la Réunion (alors appelée île Bourbon) le 7 octobre 1786. En 1817, à l’âge de 31 ans, il découvre un acte affranchissant sa mère : Joseph Lory, l’homme qui se présente comme son maître lui a menti. Il est un « ingénu », c’est-à-dire un homme né libre, et c’est illégalement qu’il a été maintenu en servitude depuis sa naissance.
L’origine de la situation de Furcy remonte à l’histoire de sa mère, Madeleine. Née dans le comptoir français de Chandernagor en Inde, elle a été enlevée enfant pour être amenée en France, puis confiée par sa première maîtresse à une femme réunionnaise nommée Routier en échange de la promesse que la jeune fille soit affranchie à son arrivée à Bourbon. Mais Mme Routier ne l’affranchit que des années plus tard, en 1789, de surcroît sans la prévenir, trois ans après la naissance de Furcy. Ce n’est qu’à la mort de sa maîtresse en 1808 que Madeleine apprend qu’elle est en fait libre depuis 20 ans.
Mais Joseph Lory, le gendre et héritier de Mme Routier, refuse d’accéder à ses droits. Profitant de sa position de supériorité, il lui promet plutôt de libérer son fils Furcy d’ici deux ans si elle renonce aux arriérés de pension qu’il lui doit. En signant devant notaire l’acte qui entérine cette négociation déséquilibrée, elle perd non seulement l’argent de sa pension mais, de fait, elle reconnaît le statut d’esclave de son fils.
C’est cette réalité que Furcy a découverte et sur laquelle il s’appuie à la fin de l’année 1817 pour exiger de Lory qu’il lui rende sa liberté. Comme celui-ci refuse, Furcy se rebelle et s’enfuit. L’homme, très introduit dans les milieux coloniaux de La Réunion, se rend immédiatement à la police pour déclarer la fuite de « son esclave ». Rattrapé, Furcy est envoyé à la prison de Saint Denis, condamné pour marronnage. La justice ne lui accorde pas le statut d’homme libre qu’il réclame au motif que sa mère n'aurait été affranchie qu'après sa naissance.
Aidé par le nouveau procureur de la colonie venu de France, Louis Gilbert-Boucher, Furcy avance deux arguments à l’appui de sa requête : il souligne tout d’abord que, étant indienne et non africaine, sa mère ne pouvait pas être esclave ; il rappelle ensuite qu’elle est passée par le sol de la France, et que donc, en vertu du principe tiré de l’Edit de 1315 de Louis X selon lequel « nul n’est esclave en France », ce simple fait aurait dû faire d’elle une personne libre, dès son arrivée à Lorient.
Effrayés par les conséquences qu’aurait une telle décision, les magistrats réunionnais rejettent sa requête en 1818 et Joseph Lory, décidé à se débarrasser de ce gêneur, l’envoie à l’île Maurice, territoire anglais depuis 1810, dans la plantation de sa sœur. Mais Furcy ne renonce pas. A Maurice, il parvient à arracher des autorités anglaises son affranchissement en 1827, après avoir démontré qu’il n’avait jamais été déclaré comme esclave à son arrivée à l’île Maurice. Reconnu libre, il choisit le prénom de sa mère comme nom de famille et devient « Furcy Madeleine ». Il s’enrichit comme pâtissier et achète lui-même deux esclaves. Mais à La Réunion, il est toujours considéré comme un esclave marron, et il continue son combat judiciaire pour voir reconnue son identité d’homme libre depuis sa naissance.
En 1835, il se rend à Paris pour réclamer la cassation du jugement de 1818. Son cas est largement médiatisé à l’époque, et si Furcy ne se bat que pour lui-même, sa cause est défendue par les milieux abolitionnistes. En 1843, la Cour royale de Paris tranche enfin et déclare que « Furcy est né en état de liberté ». Cinq ans plus tard, le Gouvernement provisoire de la Deuxième République Française abolit l’esclavage dans toutes les colonies françaises. Furcy Madeleine, qui n’est jamais retourné à La Réunion, meurt le 12 mars 1856, à l'île Maurice, où il avait connu fortune et célébrité locale.
Redécouvert par les chercheurs et les artistes au 21ème siècle, Furcy Madeleine est aujourd’hui une figure des combats individuels pour l’affranchissement, dont l’histoire ambiguë relève toute la complexité du monde d’avant l’abolition de l’esclavage. En 2019, le musée historique de Villèle à la Réunion lui consacre une exposition intitulée « L’étrange histoire de Furcy Madeleine 1786-1856 », qui a reçu le label d’« Exposition d’intérêt national ».
Sources d'informations
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L’Affaire de l’esclave Furcy, Gallimard, 2010 : roman de Mohammed Aïssaoui
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Les enfants de Madeleine. Famille, liberté, secrets et mensonges dans les colonies françaises de l'océan indien, Sue Peabody, Karthala 2019 : le livre historique de référence sur l’histoire de Furcy
Film
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Furcy, le procès de la liberté, Pierre Lane, Cinétévé, France Télévision
Exposition
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Le Musée Villèle de La Réunion a consacré à Furcy une exposition en 2020.
Podcast
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Retronews a consacré à Furcy un épisode de son podcast « Séries Noires à la Une »