Lors du soulèvement des esclaves de Saint Domingue (Haïti) dans la nuit du 22 au 23 août 1791, le serment de Bois-Caïman a scellé la conspiration. Boukman est l'homme qui prononça vraisemblablement ce serment, et qui fut le premier leader identifié de l'insurrection.
On sait peu de chose sur Boukman qui était encore en esclavage lorsqu’il s’engagea dans l’insurrection en août 1791. On l’a longtemps pensé d’origine jamaïcaine, une théorie que Victor Hugo a largement contribué à populariser dans son tout premier roman, Bug-Jargal, qui se déroule à Saint-Domingue lors du déclenchement du soulèvement, et qui fait d’un « Bouckmann, chef des cent vingt noirs de la Montagne Bleue à la Jamaïque » le leader de la révolte.
Les traces laissées par Boukman dans les archives de l’époque nous apprennent qu’en 1791 il était en esclavage à la plantation Clément à l'Acul-du-Nord (une paroisse du nord de Saint-Domingue). Bien que commandeur (responsable d’équipe dans le système esclavagiste), il passait pour un « mauvais sujet », et avait déjà été repéré pour marronnage. Le chercheur haïtien R. Salnave indique que, dès 1790, il brigandait dans la région avec Georges Biassou, l’un des futurs leaders de l’insurrection.
Boukman était investi de pouvoirs religieux des cultes d’origine africaine (vaudou) que pratiquaient les populations mises en esclavage, pouvoirs qui lui donnaient sur elles un grand ascendant.
Entre le 14 et le 21 août 1791, il fit non seulement partie de la petite élite de cochers, commandeurs et libres de couleur qui se réunirent pour décider du lancement de l’insurrection, mais il fut l’un des acteurs les plus en vue de ces rassemblement politico-religieux, connus aujourd’hui sous le nom de « cérémonie de Bois-Caïman ».
Alors que des sacrifices d’animaux sont pratiqués, il y prononce ce qui restera dans l’histoire comme le « serment de Bois-Caïman », restitué et mis en poème 30 ans plus tard par un chroniqueur revenu sur place, Hérard Dumesle (il s’agit ici de sa traduction française) :
« Mais dié là qui si bon, ordonnin nous vengeance
Li va conduit bras nous, la ba nous assistance,
Jetté portrait dié blancs qui soif dlo dans gié nous,
Couté la liberté li palé cœurs nous toùs. ».
Dans la nuit du 22 au 23 août 1791, il prend d’assaut la plantation Clément, à laquelle il était rattaché comme esclave. Après avoir pris possession de la propriété, il assassine son propriétaire Clément mais épargne son procureur (intendant), qui témoignera plus tard du déroulement des événements de cette nuit fatidique.
En quelques jours, l’insurrection s’étend à toute la Plaine du Nord d'Haïti, menée par une dizaine de milliers d’esclaves en armes, qui échoueront à l’automne devant le Cap-Français, capitale de la colonie. En quelques mois, l’insurrection dévastera 200 sucreries et 1 200 caféières, fera un millier de morts parmi les colons blancs, et verra 15 000 esclaves prendre la fuite.
Boukman sera tué les armes à la main par les troupes françaises le 7 novembre 1791, dans son camp de l’Acul-du-Nord, après avoir résisté pendant une dizaine de jours. Pour impressionner la population esclave, le pouvoir colonial brûlera son corps et exposera sa tête sur une pique au Cap-Français, la grande ville du nord. Peine perdue : l’insurrection se poursuivra, sous le commandement de ses leaders Jean-François, Biassou, et Toussaint Louverture, et finira par aboutir à l’abolition de l’esclavage à Saint-Domingue, le 29 août 1793, puis à l’indépendance de la colonie le 1er janvier 1804.
Mort en héros trois mois après le début de l’insurrection, Boukman s’est rapidement imposé dans la mémoire collective comme le symbole du déclenchement de ce mouvement inouï, qui reste la plus grande révolte d'esclave de l’histoire, et la seule à avoir triomphé.
Sa figure mêlant mysticisme et révolte politique rappelle notamment le rôle essentiel que les religions traditionnelles issues d’Afrique avaient dans les sociétés esclavagistes atlantiques et de l’Océan Indien.
Sources d'informations
- Laurent Dubois, Avengers of the New World, Harvard University Press, 2005
- Frédéric Régent, La France et ses esclaves, Fayard / Pluriel 2010
- https://www.retronews.fr/.../revolte-des-esclaves-de...
- Le chercheur haïtien Rodney Salnave consacre un blog très richement documenté aux questions qui se posent autour de la figure de Boukman et de la cérémonie de Bois-Caïman.
Illustration : Félix JEAN, Cérémonie du Bois Caïman, Huile sur toile, 36x48 in., Collection du Centre d'Art