4 avril 1792
La Révolution reconnaît l'égalité des libres de couleur

4 avril 1792
La Révolution reconnaît l’égalité des libres de couleur

Le 4 avril 1792, le roi Louis XVI promulgue le décret qui reconnaît l’égalité des droits pour les libres de couleur, c’est-à-dire les habitants des colonies noirs ou métis nés libres ou émancipés. Il aura fallu près de trois pour que les principes de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 leur soient enfin appliqués. Trois années pour arracher un décret qui ne met pas fin à l’esclavage et qui illustre les ambiguïtés de la Révolution sur les questions coloniales.

Le combat des libres de couleur s’explique par le statut inconfortable qui est le leur dans les colonies françaises. Leur communauté regroupe d’une part les personnes anciennement esclaves qui ont été affranchies, et les personnes noires ou métisses mais nées libres parce que leurs deux parents étaient libres. D’après le Code Noir, étant libres, elles auraient dû avoir exactement les mêmes droits que les colons blancs et leurs descendants, libres par principe.

Mais dans une société où toutes les personnes esclaves étaient issues d’Afrique, directement ou par leurs ancêtres, la couleur de la peau constituait une « marque » de l’esclavage aux yeux des populations blanches (grands propriétaires, nobles pour la plupart, et « petits blancs » parfois moins fortunés que les plus riches des libres de couleur). Ce préjugé de couleur avait conduit les élites coloniales à progressivement introduire des discriminations contre les libres de couleur, afin de préserver la stabilité de l’ordre social esclavagiste.

Cette inégalité s’est cristallisée au moment de la Révolution autour de la question de la représentation des colonies dans les assemblées : les colons blancs réclamaient une représentation proportionnelle à la population des colonies, libres de couleur et esclaves compris, mais assurée par eux seuls. Les libres de couleur réclamaient de pouvoir désigner eux-mêmes leurs représentants. Avec le vote de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) le 26 août 1789, les libres de couleur présents à Paris se réunissent pour réclamer l’égalité pour eux-mêmes. Ils ne veulent pas abolir l’esclavage, dont ils bénéficient (plusieurs sont propriétaires d’esclaves dans les colonies), et le premier texte qu’ils publient en septembre se réclame à la fois de la DDHC et du Code Noir !
Malgré leur caractère limité, leurs revendications sont rejetées par les représentants des colons à Paris, réunis dans le Club de Massiac. Les leaders des libres de couleur de Paris, menés par Vincent Ogé et Julien Raimond, deux propriétaires métis de Saint-Domingue, se rapprochent alors de la Société des Amis des Noirs, qui voit dans leur cause un symbole du combat pour l’égalité de tous les hommes, et une première étape vers une abolition encore lointaine de l’esclavage.

Mais le parti colonial contrôle l’assemblée, grâce à Antoine Barnave qui est leur fidèle allié, et qui bloque toute évolution. Bien décidé à faire respecter ses droits, Vincent Ogé retourne à Saint-Domingue où il prend la tête d’une insurrection des libres de couleur à la fin 1790. Celle-ci échoue. Il est condamné à mort et roué en place publique le 25 février 1791. La nouvelle de la répression suscite l’émotion à Paris, et les partisans de l’égalité parviennent à imposer le 15 mai 1791 que les libres de couleur nés de père et mère libres puissent être considérés comme citoyens.
Alors que cette mesure ne concerne qu’une minorité des libres de couleur, c’est encore trop pour les députés blancs des colonies, qui protestent avec véhémence. Le 24 septembre 1791, ils parviennent à faire abroger le décret du 15 mai, suscitant une vague de réactions dans les colonies. A Saint-Domingue, alors que les esclaves ont déclenché l’insurrection, cette mesure radicalise le parti des libres de couleur, dont certains, comme Toussaint Louverture, ont pris part à l’insurrection.

A Paris, l’installation de la nouvelle Assemblée Législative change le rapport de force entre les colons et les abolitionnistes : la nouvelle assemblée n’a pas prévu de représentation des colonies ; il n’y a donc plus de représentants directs des colons, alors que les leaders de la Société des Amis des Noirs sont bien représentés, avec l’Abbé Grégoire et Brissot. Celui-ci reprend la revendication des libres de couleur, et parvient à ses fins quand l’assemblée vote le principe d’égalité, le 28 mars 1792, un texte que le roi Louis XVI promulgue le 4 avril. La mesure sera appliquée partout, sauf à La Réunion où l’alliance des gros propriétaires et des « petits blancs » parvient à mettre en échec sa mise en œuvre.
Si elle marque incontestablement un progrès de l’égalité, la loi du 4 avril 1792 témoigne aussi des hésitations et des ambiguïtés des révolutionnaires à l’égard de leurs propres affirmations universalistes, lorsqu’ils doivent les confronter aux réalités coloniales : aux dires mêmes de Robespierre en 1791, il n’est souhaitable d’accorder la citoyenneté aux libres de couleur que pour en faire des garants de l’ordre esclavagiste.

Alors que les esclaves sont en pleine rébellion à Saint-Domingue, la loi du 4 avril 1792 apparaît de fait comme une demi-mesure, explicitement décidée dans le but de contenir cette insurrection, mais qui en pratique ne fit qu’accélérer le processus vers la « liberté générale ». Le 4 février 1794, la convention vote l’abolition de l’esclavage dans toutes les colonies, à effet immédiat et sans indemnités pour les propriétaires.
La liberté et l’égalité ne se donnent pas à moitié : telle est la leçon de la loi du 4 avril 1792.


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