En bref
La sculpture dénommée "Strange Fruit", en résine et en métal, prend place dans les jardins du musée des Beaux-Arts de Bordeaux.
Sous forme de triptyque, une structure en acier, rappelant un arbre, accueille dans ses branches trois portraits d'esclaves.
Créateur de l'œuvre Sandrine Plante-Rougeol
Historique
"Strange Fruit" a été réalisée par la sculptrice réunionnaise Sandrine Plante-Rougeol et inaugurée le 2 décembre 2019, lors de la journée internationale pour l'abolition de l'esclavage, à l'occasion des 170 ans d'abolition de l'esclavage et des traites négrières.
Au même moment, la ville de Bordeaux dévoile les six nouvelles plaques de rues, nommées d'après des négociants bordelais, qui sont désormais accompagnées d'explications mentionnant le rôle de ces personnages dans la traite et l'esclavage.
L'œuvre de Sandrine Plante-Rougeol s'inspire de la chanson éponyme de Billie Holiday, "protest song" (chant de protestation) par excellence, produite en pleine ségrégation états-unienne. Dans cet arbre en acier sont suspendus ces "fruits étranges", ces portraits d'esclaves, l'un apeuré - les yeux bandés comme le captif déporté, l'un en souffrance, et l'un abandonné. Ces trois branches renvoient dans leur numérologie au commerce triangulaire. Chaque visage prend place dans un cerclage de tonneau, en référence au caractère viticole de la région.
Le rôle de Bordeaux dans la traite
La traite négrière à Bordeaux est à l'origine de la déportation de plus de 130 000 esclaves noirs vers les possessions françaises. Avec 508 expéditions négrières, Bordeaux se place en deuxième position des ports français, derrière Nantes, pour l'ensemble de la période concernée.
Si la traite négrière contribua à développer la puissance économique de Bordeaux, c'est essentiellement le commerce des denrées coloniales, produites par les esclaves, qui a enrichi la ville.
La traite atlantique bordelaise permet de développer le commerce sucrier des Antilles et notamment celui de Saint-Domingue. De formidables fortunes s'édifient, fondées sur l'esclavage, soit avec le commerce des denrées coloniales, produit du travail des nègres, soit en tant que propriétaires de plantations aux îles.
Selon l'historien Éric Saugera, entre 1685 et 1826, 186 armateurs bordelais participent directement à la traite négrière avec plus de 508 expéditions. Parmi ces négriers, la majorité, soit 105 maisons, organisent une seule expédition et une minorité en organise plus de 10.
Mémoire
Les oeuvres commémoratives contemporaines, de ces 20 dernières années, rompent avec l'iconographie traditionnelle de la statuaire liée à l'esclavage. En effet, les artistes favorisent la représentation des esclaves eux-mêmes plutôt que des hommes politiques et militants libres de l'hexagone. Qu'ils soient anonymes à caractère universel ou associés à des individus ayant bien existé, les esclaves - en servitude, affranchis ou résistants - reprennent la parole sur leur propre histoire à travers ces nouveaux monuments.
Depuis la première journée nationale des mémoires de la traite, de l'esclavage et de leur abolition, le 10 mai 2006, la ville de Bordeaux entreprend des politiques mémorielles afin de confronter son passer négrier et de mettre en lumière les héritages de l'esclavage dans l'espace public.
En ce sens, la ville a ouvert un site web dédié à ces sujets comme outil pédagogique disponible pour tous. On y retrouve une proposition de parcours mémoriel à travers des sites historiques, plaques et monuments du paysage bordelais. La sculpture Strange Fruit en fait partie.
Source d'information
- FME
- Site web de la ville de Bordeaux, mémoire de l'esclavage et de la traite négrière
- Latouche, Carole. "Esclavage : 6 plaques de rues de négriers et une sculpture pour ne pas oublier". Rue89Bordeaux, 3 décembre 2019.
- Lalouette, Jacqueline. Les statues de la discorde. Passés composés / Humensis. 2021.