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Lumina Sophie Roptus
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Genre
Femme
Naissance
1848
Décès
1879
Activité
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Surprise

Fille d’esclaves affranchis en 1848, Lumina Sophie Roptus est une figure emblématique de l’Insurrection de 1870 en Martinique. Condamnée aux travaux forcés à perpétuité, elle symbolise à la fois la rébellion féminine, souvent passée sous silence, et l’injustice de l’ordre colonial réaffirmé par les autorités après la proclamation de la Troisième République.

Lumina Sophie Roptus dite “Surprise” naît le 5 novembre 1848 au Vauclin en Martinique, d’une mère née dans l’esclavage et affranchie par le décret d’abolition d’avril 1848. La famille cultive caféiers, cacaoyers, bananiers, canne à sucre. Lumina se sensibilise alors aux conditions de vie inégales des travailleuses et travailleurs de la Martinique rurale, dans cette période du « post-esclavage » où l’abolition n’a pas aboli les injustices d’une société fondée sur la discrimination.

Cette prise de conscience la conduit à participer à l’Insurrection de 1870, dans la campagne du sud de la Martinique. Cette insurrection naît d’un incident raciste au début de l’année : en février 1870, une altercation éclate entre Léopold Lubin, ouvrier agricole noir, et Augier de Maintenon, jeune Européen, aide-commissaire de marine, qui l’avait battu à coup de cravache. L'affaire est classée sans suite. Indigné par ce déni de justice Léopold Lubin se venge deux mois plus tard en rendant la pareille à Augier de Maintenon. Il est alors arrêté et condamné en août 1870 à cinq ans au bagne de Cayenne. Le verdict suscite l’émotion de la population locale.

La nouvelle de la proclamation de la République, le 21 septembre 1870, va faire exploser la situation : à Rivière-Pilote, la foule se rassemble, réclame la libération de Léopold Lubin et s’en prend à Codé, un Béké (blanc de Martinique) qui s’était vanté d’avoir fait condamner le jeune homme, et avait notoirement fait flotter le drapeau blanc royaliste sur son habitation. Il est arrêté par la foule et assassiné après une fuite de plusieurs jours. Enceinte de deux mois, Lumina participe au soulèvement, qui durera plusieurs jours, avant d’être réprimée dans le sang par l’armée.
Lumina est arrêtée le 26 septembre 1870 à Régale avant d’être incarcérée au Fort-Desaix. En avril 1871, à la prison centrale de Fort-de-France, elle donne naissance à un garçon dont elle est aussitôt séparée, et qui mourra en prison un an plus tard. Identifiée par le gouverneur comme la « flamme de la révolte » contre l’aristocratie des planteurs, elle est accusée de blasphème, d’avoir voulu dominer des hommes et d’avoir mis le feu à trois habitations. A l’issue de son procès en juin 1871, elle est condamnée aux travaux forcés à perpétuité pour sa participation active à l’insurrection. Déportée au bagne de Saint-Laurent-du-Maroni en Guyane, elle meurt en 1879, à l’âge de 31 ans.

Dans sa biographie Lumina Sophie dite surprise, 1848-1879 : insurgée et bagnarde, Gilbert Pago décrit le destin tragique de l’insurgée martiniquaise comme un “dommage collatéral” de la guerre franco-prussienne.

A la chute de l’empereur Napoléon III, en septembre 1870, la République est proclamée. Pour les noirs de Martinique, ce nouveau régime représente alors l’espoir d’obtenir enfin l’égalité de droits avec les Blancs de Martinique. Ironiquement, c’est cette République tant espérée qui brisa leurs espoirs, en rétablissant avec brutalité l’ordre colonial après les troubles nés de l’affaire Lubin.

A ce contexte particulier s’ajoute la marque du patriarcat, qui voit dans la révolte des femmes une menace particulièrement grave à l’encontre de l’ordre traditionnel. Comme les « pétroleuses » de la Commune de Paris, Lumina Sophie et ses camarades féminines (on trouvera 15 femmes (dont 2 en fuite) parmi les 114 inculpés du procès de l’insurrection) sont vues comme des aberrations, dont la conduite hors norme mérite une punition exemplaire : parce qu’elle est vue comme une meneuse du mouvement, Lumina Sophie est donc particulièrement frappée, lors du procès comme au bagne où on la mariera de force à un prisonnier français. Elle décède le 15 novembre 1879, sans jamais avoir revu la Martinique.

Longtemps oubliée, l’histoire de Lumina Sophie a été redécouverte par les militants martiniquais dans les années 1980. Devenue une figure de la résistance des populations martiniquaises aux injustices du post-esclavage, et du combat des femmes pour l’égalité, elle fait désormais l’objet d’hommages officiels, avec notamment une statue à Rivière-Pilote aux côtés de Louis Telga et Eugène Lacaille, deux des meneurs du soulèvement.