29 mars 1815 abolition en trompe-l'oeil

29 mars 1815
Abolition en trompe-l'oeil


Le 29 mars 1815, 13 ans après avoir rétabli l’esclavage dans l’espace colonial français, Napoléon Bonaparte alors engagé dans les Cent-Jours signe un décret interdisant la traite des Noirs. Ce texte de circonstance ne sera jamais appliqué.


La traite des Noirs, ou « traite négrière », désigne le commerce des Africains achetés par les Européens aux royaumes locaux et destinés à être déportés comme main d’œuvre servile dans les colonies d’Amérique, des Caraïbes et de l’Océan Indien. Distincte de l’esclavage lui-même, la traite fut la première à susciter non seulement des condamnations morales, mais également des tentatives juridiques pour y mettre fin : c’est en effet pour interdire la traite (et non l’esclavage) que fut fondée en 1788 en France la Société des Amis des Noirs, sur le modèle de la société du même nom créée un an plus tôt en Grande-Bretagne.
Sous la Révolution Française, alors que la Convention vote l’abolition de l’esclavage le 4 février 1794, la traite, elle, n’a jamais été officiellement supprimée. Tout juste l’Abbé Grégoire, membre éminent de la Société des Amis des Noirs, parvint-il à obtenir en 1793 que les expéditions de traite ne fassent plus l’objet de primes d’Etat. Mais, du fait de la guerre contre la Grande-Bretagne, les expéditions ne sont plus possibles entre l’Europe, l’Afrique et les colonies des Amériques. La traite française s’effondre, sans toutefois disparaître complètement.


Le rétablissement de l’esclavage par Napoléon Bonaparte en 1802 (et son maintien là où il n’avait pas été aboli : en Martinique et dans les Mascareignes – La Réunion et l’actuelle île Maurice) se double d’une relance de la traite, mentionnée explicitement dans le décret-loi du 20 mai 1802. Le commerce transatlantique d’êtres humains reprend à grande échelle dès l’été 1802, avant d’être de nouveau ralenti par la reprise de la guerre qui coupe la métropole de ses colonies.


Un fait nouveau intervient alors : en 1807, le mouvement abolitionniste obtient l’interdiction de la traite dans l’empire colonial britannique. Les Etats-Unis adoptent la même mesure en 1808. Les Britanniques cherchent alors à imposer cette mesure à toutes les puissances européennes, par la force grâce à leur marine, et par la diplomatie dans le contexte de la chute de l’Empire : en 1814, ils imposent à Louis XVIII un traité obligeant la France à renoncer à la traite dans un délai de 5 ans. Alors que les puissances européennes se retrouvent à Vienne pour décider du nouvel ordre diplomatique du continent, l’interdiction de la traite fait l’objet d’une déclaration de principe adoptée le 8 février 1815, à laquelle la France souscrit. Mais le texte laisse son application à la discrétion des Etats, le lobby colonial et les représentants des ports réclamant au contraire la reprise des expéditions pour relancer l’économie coloniale touchée par le blocus et les événements des années 1790-1800.
C’est dans ce contexte et alors qu’il vient à peine de restaurer l’Empire à Paris que Napoléon Bonaparte adopte le décret du 29 mars 1815, qui interdit la traite des Noirs sans délai. Le texte est pris sans concertation ni compensation pour les ports, dans ce qui sera interprété comme une punition de Napoléon à l’égard de ces milieux réputés plus proches de la Restauration que de l’Empire. Mais il n’est assorti d’aucune sanction, ni d’aucun moyen sérieux de mise en œuvre. Purement déclaratif, il n’aura aucun effet concret, et sera effacé après la capitulation de l’Empereur, comme le reste des actes qu’il avait pris durant les Cent-Jours.


Il faudra attendre deux ans pour que la Restauration consente à adopter un nouveau texte pour interdire la traite, en 1817, que le régime dut compléter par deux autres, en 1818 et 1827, qui prévoyaient des sanctions de plus en plus lourdes pour les personnes coupables, sans jamais parvenir à éteindre le phénomène de la traite clandestine, contre lesquelles des personnalités abolitionnistes comme Lafayette, l’Abbé Grégoire et Benjamin Constant ne cessèrent de s’élever dans les années 1820. Après la révolution de 1830, la Monarchie de Juillet adopte à son tour le 4 mars 1831 une loi particulièrement sévère contre la traite, sans néanmoins parvenir à étouffer la traite clandestine qui perdurera encore pendant des années, jusqu’à l’abolition de l’esclavage par la 2ème République en 1848.


Ressources