28 août 1789
Vote de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen

28 août 1789
Vote de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen


Le 26 août 1789, l’Assemblée constituante adopte la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dont l’article 1er proclame : « Tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ».

Pourtant, la déclaration ne libère pas les plus de 700 000 personnes alors en esclavage dans les colonies françaises, dans une profonde contradiction que seule la révolte des esclaves et les libres de couleur de Saint-Domingue parviendra à dénouer.

La déclaration des droits de l’homme et du citoyen est le fruit du grand mouvement révolutionnaire qui a saisi la France depuis la réunion des Etats Généraux le 5 mai 1789. Convoqués par le roi Louis XVI alors que la France traverse une profonde crise économique, et que les ordres privilégiés (noblesse et clergé) refusent de se soumettre à l’impôt, les Etats Généraux réunissent les représentants de la noblesse, du clergé et ceux du reste de la population, le Tiers Etat, qui se proclament « assemblée nationale » le 17 juin 1789.

La nouvelle assemblée décide de doter le royaume d’une constitution. Sous la pression des troubles populaires (prise de la Bastille le 14 juillet), elle vote l’abolition des privilèges le 4 août, puis décide d’adopter une déclaration des droits avant de rédiger la constitution. Inspirée par les idées des Lumières et les constitutions des états américains, la déclaration des droits de l’homme et du citoyen est votée après 6 jours de débats le 26 août 1789, avec son célèbre premier article : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. ».

Mirabeau, membre de la Société des amis des Noirs, perçoit immédiatement l’impact potentiel de cette affirmation sur l’esclavage : le 21 août, il écrit dans son journal Le Courrier de Provence : « Aucun [des députés colons] n’a proposé comme un amendement que les hommes blancs seuls naissent et demeurent libres ; aucun d’eux n’a proposé qu’on insérât cette clause pour les Africains, les hommes noirs naissent et demeurent esclaves ; la distinction de couleur détruit l’égalité des droits. »

Mais cette affirmation reste théorique, l’assemblée n’en tirant aucune conséquence face aux deux situations qui violent ce principe dans les colonies : l’existence de l’esclavage lui-même, mais aussi la discrimination que les colons blancs imposent aux libres de couleur noirs ou métis dans les colonies, en les privant de citoyenneté. En effet, ces colons ont obtenu d’être les seuls représentants des colonies à l’assemblée. Ni les libres de couleur ni, a fortiori, les esclaves n’y sont représentés.

Mais la radicalité de la déclaration des droits de l’homme se diffuse très rapidement chez ceux qui en ont parfaitement perçu le sens : les colons d’un côté, et les libres de couleur et les esclaves de l’autre.
Les premiers créent dès le 20 août 1789 une association appelée à devenir un puissant lobby, le club de Massiac, du nom de l’hôtel particulier du marquis de Massiac où elle se réunit. L’objet explicite du Club est d’obtenir que le droit français reconnaisse officiellement que la déclaration des droits de l’homme ne s’applique pas dans les colonies et que l’assemblée nationale n’y légifère pas.

Les seconds se saisissent immédiatement de la déclaration pour réclamer leurs droits : dès le 29 août 1789, un groupe de libres de couleur se réunit à Paris. Le mois suivant, ils adressent à l’assemblée nationale un Cahier dans lequel ils demandent que « la Déclaration des droits de l’homme, arrêtée dans l’Assemblée Nationale, leur soit commune avec les Blancs ». Vincent Ogé, futur leader et martyr de la révolte des libres de couleur à Saint-Domingue en 1790, est parmi les signataires.

Et les échos de la déclaration se réverbèrent jusqu’à Saint-Domingue. En octobre 1789, un témoin écrit : « le plus terrible ce sont les noirs qui entendant que la cocarde est pour la liberté et l’égalité ont voulu se soulever. On en a conduit beaucoup à l’échafaud dans les grands quartiers, cela a tout apaisé. » L’auteur de ces lignes est François Raimond, frère de Julien Raimond, métis de Saint-Domingue qui lutte depuis plusieurs années contre le préjugé de couleur dont les métis et les Noirs émancipés sont les victimes. A cette époque il n’est pas encore favorable à l’abolition de l’esclavage.

Mais la Déclaration des droits de l’homme ébranle le fondement même du système esclavagiste et rien n’arrêtera plus la marche vers la liberté et l’égalité dans les colonies : en 1791 les esclaves de St-Domingue se soulèvent et en deux ans ils balaient l’ordre colonial. L’abolition est reconnue en 1793 à St-Dominique, et proclamée pour toutes les colonies par la Convention en 1794. Reconnue par la déclaration des droits de 1793, l’interdiction de l’esclavage est enfin effective.

Texte juridique sans effet immédiat sur les injustices de l’ordre colonial mais à la puissance symbolique réelle et durable jusqu’au-delà des océans, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 témoigne par ses contradictions mêmes de la force et des limites du droit comme instrument de libération, autant que des ambiguïtés de l’universalisme des révolutionnaires confrontés à la réalité des intérêts au cœur du système colonial. C’est ce qui a fait dire à Yves Bénot, citant Aimé Césaire, que « la question coloniale, c'était "aussi la question de la Révolution elle-même" » parce qu’elle y « introduit "sa propre contradiction, donc une ligne nodale" ».


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