J’ai grandi dans une société encore profondément marquée par l’esclavage. La société créole, de mon enfance et de ma jeunesse, était basée sur la ségrégation liée à la couleur de la peau. La plupart d’entre nous étions pauvres mais la vraie différence était la couleur. Peu à peu, l’île de la Réunion a réussi à se hisser au-dessus du mépris des personnes noires, grâce à l’éducation. L’égalité reste un combat.
Dans les années soixante, j’ai fait partie de la première vague d’enfants ayant pu accéder massivement à l’école. Là, les instit’ nous ont ouvert aux autres et notamment aux enfants descendants d’esclaves. Nous avons appris à grandir ensemble, plus ou moins blancs ou métis, comme moi. Peu à peu, nous avons commencé à comprendre que les horreurs du vocabulaire quotidien, autour de nous, étaient à bannir. Ce ne fut pas si simple. Mais, ici et là, nous avons réussi à aider des adultes descendants d’esclavagistes à faire leur examen moral…Le travail n’est pas fini.
Ce n’est pas à l’école que nous, Créoles de toutes origines, avons appris réellement que l’esclavage était une ignominie. Le sujet n’était pas au programme. C’est plus tard que nous avons découvert l’esclavage en tant que système.
Quel choc de voir les véritables cercueils debout que madame Desbassayns avaient fait tailler dans le basalte, du côté de Bois d’Olive, au-dessus de Saint-Pierre, pour punir ses esclaves !
L’esclavage ne fut pas exercé dans une version « light » chez nous, dans l’Océan indien. Contrairement aux légendes. Il est indispensable de travailler sur ce sujet car c’est ainsi que nous pourrons espérer construire une société plus équilibrée, une société qui acceptera de se voir dans ce passé affreux pour construire un avenir commun. Plus juste.
La création audiovisuelle devrait être un outil précieux pour incarner cette ambition urgente. Il ne s’agit pas d’agir dans un esprit de revanchisme. Mais de travailler à déraciner des stéréotypes dangereux en investissant sur la jeunesse. Non seulement outre-mer mais en France métropolitaine. Ce que j’ai vu en Afrique du Sud, en reportage lors de l’élection de Nelson Mandela, me permet de le croire.
Si la Fondation pour la mémoire de l’esclavage pense que je peux être utile pour l’aider à avancer concrètement sur ce sujet essentiel - la diversité sociale à la française - alors je serai prête à faire de mon mieux, dans un esprit d’équipe. Avec engagement et convictions.
Mémona Hintermann Afféjee