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Le prix de thèse de la Fondation pour la mémoire de l'esclavage récompense chaque année une thèse en sciences humaines et sociales portant sur l’histoire de la traite, de l’esclavage et des abolitions à l’époque coloniale ou sur ses conséquences dans le monde actuel. Il est le seul prix qui couronne les travaux en français de chercheuses ou chercheurs sur ces thèmes.

Le jury, formé de membres du Conseil scientifique de la FME a attribué le Prix de thèse Jean-Pierre Sainton 2024 à Jessica Balguy pour sa thèse Indemniser l’esclavage en 1848 ? L’heure des comptes pour les propriétaires de couleur de la Martinique, thèse en Histoire soutenue à l’EHESS le 22 septembre 2023 sous la direction de Myriam Cottias, dont l’originalité de l’approche sur cette question majeure a été grandement saluée.
En 1848, alors que la France abolit l’esclavage pour la seconde fois, elle accorde dans le même temps une indemnité aux « colons dépossédés » (Article 5 du décret d’abolition du 27 avril). Un an plus tard, par la loi du 30 avril 1849, 126 millions de francs leur sont accordés. L’indemnité coloniale représente un véritable enjeu pour ces propriétaires qui en avaient ardemment défendu le principe dès les années 1830, en faisant admettre l’esclavage comme fondé sur un droit, en l’occurrence le droit de propriété.

Les colons les plus influents, qui avaient menacé de quitter les colonies et négocié cette indemnité, ne sont néanmoins pas les seuls concernés par l’enjeu. Au sein de chaque colonie se trouvent  des propriétaires se répartissant sur une échelle sociale étendue, des habitants les plus riches aux plus modestes, des veuves catégorisées comme « blanches » aux libres de couleur - affranchis ou descendants d’affranchis -.
L’objet de cette étude porte précisément sur ce groupe, à qui Victor Schœlcher demandait à la veille de l’abolition de « prendre part à la croisade contre l’esclavage en s’interdisant de posséder des esclaves » (Des colonies françaises, 1842). En 1849, dans les registres de l’indemnité coloniale de la Martinique qui recensent tous les indemnitaires de la colonie, au moins 35 % d’entre eux appartiennent à ce groupe des libres de couleur. Ils représentent pourtant près de 80 % de la population libre de la Martinique en 1847.

Les propriétaires catégorisés comme blancs, en minorité dans la population libre, restent largement surreprésentés dans les propriétaires d’esclaves indemnisés en 1849. C’est donc un phénomène à la marge sur lequel ce travail se focalise. Or précisément, travailler depuis les marges permet à la fois de révéler, sous un nouveau jour, la violence du système esclavagiste et de ses avatars, et la manière dont les acteurs manœuvrent dans ses interstices.

La présence des libres de couleur dans les registres de l’indemnité coloniale permet une analyse à rebours de la situation de ce groupe dans la colonie, du capital économique, mais également social, symbolique et politique que constitue la propriété servile pour celles et ceux qui sont en mesure d’être propriétaires. Ce travail révèle les réalités sociales – parfois purement statutaires – derrière ces propriétés, et analyse le bouleversement que représente cette transition pour un groupe très hétérogène, en équilibre sur le système esclavagiste.

Également lauréate de la bourse doctorale FME-MQB 2022-2023, Jessica Balguy est aujourd’hui Postdoctoral Scholar au Center for Black Europeans Studies and the Atlantic à la Carnegie Mellon University  (Pittsburgh, PA, États-Unis).

Son travail s’inscrit dans le cadre de l’ANR « Repairs », qui rassemble une équipe pluridisciplinaire autour de la question des réparations au titre de l’esclavage sous la direction de Myriam Cottias, et de l’ANR « Transatlantic Platform » du programme « DATAS » sous la direction de Paul Lovejoy.

Elle est l’autrice de l’ouvrage Indemniser l’esclavage en 1848 ? Débats dans l’Empire français du XIXe siècle, publié en 2020 aux éditions Karthala.

Voir la thèse 

Voir la Database Repairs - Esclavage & Indemnités