Tamango
La révolte d'un navire négrier

  • La bande annonce de Tamango de John Berry

En 1958, John Berry, réalisateur américain exilé en France pour cause de maccarthysme, tourne
Tamango. Adaptation d’une nouvelle de Prosper Mérimée, Tamango est publiée en 1829 et participe au courant abolitionniste dont Mérimée était proche.

Puissant guerrier, Tamango capture des Africains afin de les vendre au capitaine Ledoux. Ancien
matelot de la Marine impériale qui a perdu sa main gauche à Trafalgar, Ledoux s’est reconverti en
pirate, ce qui lui a permis de suffisamment s’enrichir pour faire l’acquisition d’un navire négrier.
Sans scrupules, sous l’emprise de l’alcool, Tamango n’hésite pas à vendre sa femme Ayché. Pris
d’effroi, le lendemain, il parvient à gagner le négrier et organise une révolte tuant l’ensemble des
marins blancs et rendant le navire hors d’usage. Libérés, les esclaves n’en sont pas moins
condamnés à dériver jusqu’à leur mort. Seul Tamango survivra sauvé par les Anglais. Ramené en
Jamaïque en homme libre, il meurt rapidement d’alcoolisme.

La nouvelle de Mérimée s’inscrit dans la littérature abolitionniste alors très en vogue dans la
première moitié du XIXe. La description très précise d’un navire négrier s’inspire des texte de
l’abbé Raynal ou encore des Voyages à l’intérieur de l’Afrique (1799) de Mungo Park Toutefois,
Mérimée reste un homme de son siècle et sa vision du Noir est empreinte de clichés racistes : la
description de Tamango surprend le lecteur d’aujourd’hui puisqu’il correspond à l’incarnation du
mal absolu. Comparé à de féroces bêtes africaines, il n’agit que dans son propre intérêt sans tenir compte des conséquences pour les révoltés. De nature plus faible que les Européens, Tamango ne peut que céder à l’appel des tentations.

Lorsque John Berry décide de mettre en scène Tamango, il modernise le récit en rendant la critique de l’esclavage encore plus acerbe. Tamango (Alex Cressan) n’est plus un chef guerrier égoïste mais un Africain fier qui insuffle l’esprit de résistance à ses camarades et qui est le premier à s’opposer au capitaine. Dans cette version, Ledoux s’appelle désormais Reinker (Curd Jurgens) et Ayché (Dorothy Dandridge) devient sa maîtresse métisse. Ce n’est qu’à la fin que Tamango parvient à la convaincre de rejoindre la cause des esclaves plutôt que de rester fidèle au capitaine.

Si Tamango est important, c’est parce qu’il donne à voir le passage du milieu sans compromis : la
cale devient le lieu central de l’action où les captifs organisent la résistance malgré la chaleur
étouffante, la terreur qui y règne et les chaînes qui entravent leurs mouvements. Face à la promesse d’être vendu en esclavage, la violence devient leur seule solution. Pour faire taire les cris des révoltés, poussé à bout par la révolte grandissante, Reinker fait tirer des coups de canon dans la cale. Et si contrairement à Mérimée la révolte échoue et que les prisonniers sont massacrés, les trafiquants sont également défaits puisque qu’on ne vend pas les morts.

La production franco-italienne libère John Berry des contraintes de la censure américaine : les
relations interraciales explicites et la violence directe contre les Blancs auraient été interdites aux Etats-Unis. Pour ces raisons, les producteurs ont dû proposer aux Américains un autre montage expurgé des scènes les plus sulfureuses. Malgré ces concessions, aucun distributeur américain n’a osé le diffuser largement.

Avant Queimada de Gillo Pontecorvo (1969) ou encore Mandingo de Richard Fleischer (1975),
Tamango est le premier film à proposer une nouvelle vision de l’esclavage, loin du Sud idéalisé
qu’Hollywood avait réussi à implanter dans l’imaginaire collectif.

Pour lire la nouvelle Tamango de Prosper Mérimée