Mandingo
L’horreur de la plantation

  • La bande annonce du film

En 1975, le réalisateur Richard Fleischer (auteur notamment de Vingt Mille Lieues sous les mers en 1955 et de Soleil vert en 1973) sort un film coup de poing sur l’esclavage : Mandingo, qui présente pour la première fois à Hollywood la réalité sordides des plantations.


Avec son casting multiethnique, son sujet explosif centré sur les relations interraciales et ses nombreuses scènes de sexe et de violence, Mandingo s’inscrit dans la vague « Blaxploitation », ces films de série B destinés principalement au public africain-américain qui connaissaient alors une énorme popularité.  Si la présence du producteur italien à succès Dino de Laurentiis témoigne de l’intention commerciale du film, ce dernier affiche dans ce projet une ambition plus haute, qui rejoint celle du réalisateur Richard Fleischer.

Ce dernier a en effet l’intention de faire un film de rupture sur un sujet dont Hollywood a jusqu’alors toujours atténué la brutalité, comme il l’explique à Mike Flood Page pour le magazine Street Life : « La première chose est que les conditions de vie dans le Sud sous l'esclavage étaient bien pires que ce que j'ai décrit. Ce qu'on voit à l'écran est une version édulcorée de ce qui s'est réellement passé. (…) Je sais que le film révolte beaucoup de gens – ce que je voulais, car l'esclavage a été romancé pendant de nombreuses années (…). Ce que le film montre pour la première fois, c'est un regard très honnête et dur sur ce qu'était l'esclavage (...). En raison de la façon dont il résonne avec l'histoire des États-Unis et l’actualité contemporaine, c'est probablement le film le plus important que je n'ai jamais fait [...]. Toutes ces choses terribles qui ont commencé avec l'esclavage sont toujours présentes dans notre société. » Le projet ne peut pas être plus clair : en réalisant Mandingo, Fleischer souhaite une bonne fois pour toutes renverser l’idéalisation du Vieux Sud et de l’esclavage qu’Hollywood a en partie construit à travers des films comme The Birth of a Nation de D. W. Griffith (1915) ou encore Gone With the Wind de Victor Fleming (1939). 

À l’origine best-seller sulfureux de Kyle Onstott (1957), puis pièce de théâtre à succès de Jack Kirkland (1961), Mandingo connait une première tentative d’adaptation cinématographique en 1968. Mais il faut attendre l’arrivée de Dino de Laurentiis et Richard Fleischer, dans le contexte de l’épanouissement aux Etats-Unis d’un cinéma commercial plus provocateur, pour que les conditions nécessaires à la production d’une telle œuvre soient enfin réunies. 

Quelques années plus tôt, Herbert Biberman – l’un des Dix Hollywood, victime du maccarthysme – avait été le premier à proposer une remise en cause brutale de l’idéalisation hollywoodienne de l’esclavage avec Slaves (1969), une réécriture marxiste de La Case de l’oncle Tom. Mais la sortie du film en salles avait été plus que limitée. Mandingo au contraire sera largement diffusé, et peut donc être considéré comme le premier film hollywoodien à s’attaquer frontalement à cette question.

La rupture de ton est brutale. Pour critiquer la société esclavagiste en décadence, plus rien n’échappe à l’objectif de la caméra : révolte, métissages forcés, sévices physiques et sexuels. La force de subversion de Mandingo s’incarne à la fois dans son récit et dans sa mise en scène qui renouvelle de l’intérieur les codes d’un imaginaire que la réalisation de Fleischer cherche sans cesse à ébranler. Fleischer fait de Mandingo une œuvre dont la portée politique résonne avec les combats du Black Power. Par son portrait cru de la réalité de l’esclavage, Fleischer tisse un lien entre passé et présent faisant du racisme de la société américaine contemporaine la conséquence directe de l’esclavage. 

En nous introduisant dans un monde où les tons chauds et colorés de Gone With the Wind ont laissé place à une ambiance terne et décatie, la séquence d’ouverture annonce la couleur. Tara, la plantation resplendissante de Gone With the Wind n’est plus que l’ombre d’elle-même. En lieu et place, Falconhurst – la plantation de Mandingo – est une imposante bâtisse qui menace de s’effondrer, usée par le temps et les excès de l’esclavage. Laissé à l’abandon, c’est un lieu revenu à l’état sauvage prêt à être englouti. Quelques instants plus tard, la rencontre avec les esclavagistes renforce le sentiment de décrépitude : les handicaps physiques du père et du fils redoublent l’état général de plantation, balisant la trajectoire d’un monde à bout de souffle et replié sur lui-même. Enfin, à la place du thème de « Tara » composé par Max Steiner, on entend deux banjos puis la voix du bluesman Muddy Waters avec ces mots « Je suis né pour ne jamais être libre ». En quelques minutes, par ses choix esthétiques, Fleischer parvient à retranscrire la brutalité de la société esclavagiste et la tragédie qui hante cette terre et les personnages qui y habitent.

Lors de la sortie du film en salles au printemps 1975, la relecture proposée par Fleischer déclenche de vives polémiques. Peu réceptive, la presse américaine est décontenancée par un film en totale rupture avec l’imaginaire traditionnel du Vieux Sud, et qui présente aux yeux des critiques tous les travers du cinéma d’exploitation : la complaisance pour le sexe et la violence, le voyeurisme, la recherche du scandale à tout prix. Dans The New York Times, le critique Vincent Canby ira jusqu’à écrire que Mandingo « s'intéresse moins à l'esclavage que Gorge profonde à la thérapie sexuelle ». 

Mais tous ne partagent pas cet avis. A sa sortie tout d’abord, le film de Fleischer rencontre un grand succès, notamment dans les quartiers africains-américains. La revue du Black Panther Party défend la virulence de Mandingo contre les manœuvres du pouvoir et l’establishment pour « tuer » le film. 

Depuis, l’importance de ce film de rupture a été réévaluée. Si son contenu sulfureux et sa représentation des corps noirs humiliés continuent d’être débattus, les historiens du cinéma reconnaissent désormais son caractère absolument novateur dans la représentation de la brutalité de la société de plantation et de la complexité des rapports raciaux aux États-Unis. Dans son propos comme dans ses limites, Mandingo est sans conteste un jalon majeur dans la représentation de l’esclavage par le cinéma de Hollywood, dont l’influence se fait encore sentir sur le Django Unchained de Quentin Tarantino comme sur le 12 Years A Slave de Steve MacQueen.