- Napoléon, jouet des intérêts coloniaux ?
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Avant de lancer son expédition coloniale, Bonaparte n’a pas de position de principe sur l’esclavage mais fait preuve d’opportunisme politique à ce sujet.
En 1798, il a aboli l’esclavage après la conquête de Malte, donnant ainsi la liberté aux esclaves musulmans de l’île. Il dénonce de manière indirecte l’esclavage dans sa proclamation d’Alexandrie en Égypte, le 1er juillet 1798. Toutefois, il autorise l’achat d’esclaves en Égypte pour les besoins de l’armée. Ils sont affranchis et intégrés comme soldats.
En 1800, il s’oppose au rétablissement de l’esclavage demandé par François Barbé-Marbois, l’ancien intendant de Saint-Domingue. Il est alors plutôt favorable à un système dual – maintien de l’esclavage là où il n’a pas été aboli, maintien de l’abolition là où elle a été effective.
Sa préoccupation principale est de rétablir l’ordre dans les colonies et notamment mater les prises de pouvoir par des militaires noirs et métissés à Saint-Domingue et en Guadeloupe.
- Joséphine de Beauharnais a-t-elle un rôle dans le rétablissement de l’esclavage ? : c’est elle, créole de la Martinique, qui a fait pression ?
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À la Martinique, Joséphine est un personnage paradoxal : source d'orgueil pour avoir été épouse de Napoléon Bonaparte et impératrice des Français, mais aussi de détestation pour son rôle supposé dans le rétablissement de l’esclavage.
Alors même que l’esclavage n’avait pas été abrogé en Martinique, colonie britannique entre 1794 et 1802, de nombreux Martiniquais restent persuadés que Joséphine a été à l’origine du rétablissement de l’esclavage, pour favoriser sa famille, encore propriétaire dans l’île (sa mère y meurt en 1809). La statue en marbre de Joséphine sur la Place de la Savane à Fort-de-France a été de nombreuses fois décapitée et maculée de peinture rouge ; le site de la Pagerie a été plastiqué en 1986. Le sujet soulève encore de nombreuses réactions et, en 2020, la statue de Joséphine sur la savane a été complètement détruite. Pourtant, historiquement, aucune trace, aucun témoignage ne laisse penser que Joséphine ait eu une influence directe sur la décision de Napoléon alors que bien des sources montrent que le rétablissement de l’esclavage a obéi à des à des intérêts strictement économiques et à la force du lobby des planteurs et du ministre Decrès, qui promut le rétablissement de l’esclavage dans les colonies où il avait été aboli, au lieu d’étendre la liberté à celles qui n’avaient pas appliqué le décret de 1794 (la Martinique, les Mascareignes, Sainte-Lucie, Tobago) L'abolition définitive de l'esclavage dans les colonies françaises ne fut votée qu’en 1848.
- Où l’esclavage a été réellement aboli/rétabli ?
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L’abolition de l’esclavage a été effective à Saint-Domingue, en Guadeloupe et en Guyane ; mais à la Martinique, occupée par l’Angleterre, à la Réunion et l’île de France (l’actuelle île Maurice), où les colons avaient menacé de se rendre aux Anglais, elle n’a pas été appliquée.
En signant le traité de paix d’Amiens avec la Grande-Bretagne, la France regagne certains territoires. Il est alors décidé de ne plus tenir compte de la décision d’abolition appliquée sur les autres colonies, et que l’esclavage doit être maintenu dans les colonies récupérées ; il s’agit de la Martinique, Tobago et Sainte-Lucie.
Peu après, et avec l’enclenchement de la guerre contre Saint-Domingue, une autre expédition est organisée pour réprimer des révoltes en Guadeloupe. L’esclavage finit par y être rétabli, ainsi qu’en Guyane.
- Retour à l’Ancien régime ou nouvel ordre social pour les colonies ?
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Le rétablissement de l’esclavage fut réalisé en deux temps, dans les faits, puis dans l’ordre juridique dans les colonies ayant profité pour une courte durée de son abolition. Les textes abolissant l’esclavage font tous référence au régime antérieur à 1789 : en parlant de retour à l’ordre ancien, le Premier Consul évite de prononcer le mot « esclavage ». Pour autant, sous couvert de retour à l’ancien régime, c’est finalement un ordre juridique nouveau qui est mis en place, le code noir conserve ses dispositions pénales à nouveau applicables, mais ses dispositions civiles sont fortement infléchies pour renforcer la barrière de couleur. En Guadeloupe, on commença d’abord par retirer la citoyenneté aux hommes de couleur. En outre, l’arrêté consulaire du rétablissement de l’esclavage ne fut proclamé que presque une année après sa publication, par crainte de nouveaux troubles.
En Guyane, on institua une différence de traitements entre les anciens et “ nouveaux ” esclaves, c.à.d. entre les noirs et gens de couleur présents dans la colonie depuis le 1794 et ceux qui sont arrivés après cette date. Ces derniers sont maintenus dans l’esclavage, avant que le statut ne soit généralisé à tout le monde en 1803.
Pour assoir son autorité sur les colonies, le pouvoir colonial napoléonien renforce les mesures de restrictions à l’égard des noirs et libres de couleur des colonies, par exemple en leur interdisant l’accès à la métropole, sauf autorisation exceptionnelle.
- Tout le monde admettait l’esclavage, le rétablissement n’est donc pas une décision exceptionnelle.
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Certes, l’esclavage n’avait pas totalement disparu après la première déclaration de l’abolition de l’esclavage en 1794. D’autant plus que cette décision ne fut pas appliquée en métropole et connu de vives oppositions dans certaines colonies comme La Réunion. En outre, la traite esclavagiste ne fut pas encore interdite. Toutefois, le rétablissement officiel et juridique de l’esclavage a sensiblement impacté les vies de nombreux habitants noirs et libres de couleur de Guadeloupe et de Guyane qui furent déchus de leur citoyenneté, soumis et vendus de nouveau, et privés de certains droits qu’ils avaient avant-même l’abolition de l’esclavage. Les autres pays européens continuaient à pratiquer l’esclavage, pourtant le courant abolitionniste en Europe a pris de la vigueur. En France, malgré la disparition de Brissot, Condorcet…etc., l’Abbé Grégoire, Madame de Staël continuent à argumenter au nom des droits humains. Au Royaume-Uni, c’est pendant le règne de Napoléon 1er que la traite est abolie (1807) avant l’émancipation elle-même proclamée en 1833, soit 15 ans avant l’abolition définitive de l’esclavage en France. Dans les jeunes Etats-Unis, certains Etats ont mis fin à l’esclavage.
Bibliographie générale
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- Adélaïde-Merlande, Jacques, Bélénus, René, Régent, Frédéric, La Rébellion de la Guadeloupe 1801-1802, recueil de textes commentés, Conseil général de la Guadeloupe - Société d'histoire de la Guadeloupe, 2002
- Auguste, Claude Bonaparte, Auguste, Marcel Bonaparte, L'expédition Leclerc, 1801-1803,Port-au-Prince, Henri Deschamps,1985
- Bénot, Yves, La démence coloniale sous Napoléon, La découverte, 2006
- Bénot, Yves; Dorigny, Marcel, Rétablissement de l'esclavage dans les colonies françaises, 1802 : ruptures et continuités de la politique coloniale française, 1800-1830 : aux origines d'Haïti ,Maison Neuve & Larose,2003
- Branda, Pierre, Lentz, Thierry, Napoléon, l'esclavage et les colonies, Fayard, 2006
- Cauna, Jacques de, Toussaint Louverture, le grand précurseur, Editions Sud-Ouest, 2012
- Dubois, Laurent, A Colony of Citizens : Revolution and Slave Emancipation in the French Caribbean, 1787-1804, University of North Carolina Press, 2004
- Dubois, Laurent, Les Vengeurs du Nouveau Monde. Histoire de la révolution haïtienne, Les Perséides, 2006
- Gainot, Bernard, L'Empire colonial français - De Richelieu à Napoléon , Armand Colin, 2015
- Gainot, Bernard, Les officiers de couleur dans les armées de la République et de l'Empire, Karthala, 2007
- Geggus, D., Fiering, N (eds.), The World of the Haitian Revolution, Indiana University Press, 2009
- Geggus, David Patrick (dir.), The Impact of the Haitian Revolution in the Atlantic World, Columbia, The University of South Carolina, 2001
- Ghachem, Malick W., The Colonial Vendée, in The World of the Haitian Revolution, Geggus, D., Fiering, N (eds.), 2009
- Girard, Philippe R., Ces esclaves qui ont vaincu Napoléon, Toussaint Louverture et la guerre d'indépendance haïtienne, Perséides, 2012
- Hazareesingh, Sudhir, Toussaint Louverture, Flammarion, 2020
- Le Glaunec, Jean-Pierre, L’armée indigène : la défaite de Napoléon en Haïti, Lux, 2014
- Lentz, Thierry, Dictionnaire Napoléon, Perrin, 2020
- Niort, Jean François, Régent, Frédéric, Serna, Pierre (dir.), Les colonies, la Révolution française, la Loi, Presses Universitaires de Rennes, 2014
- Régent, Frédéric, Les maîtres de la Guadeloupe, Propriétaires d’esclaves (1635-1848), Paris, Tallandier, 2019
- Régent, Régent, Esclavage, métissage, liberté. La Révolution française en Guadeloupe, Grasset, 2004
- Saugera, Eric, Guerres et traites françaises aux côtes d'Afrique. De la Révolution à Napoléon (première partie), n° spécial Outre-mers : Revue d’histoire, 408-409, décembre 2020
- Scott, Julius, The Common Wind : Afro-American Currents in the Age of the Haitian Revolution, Londres, Verso, 2018
- Spieler, Miranda, Liberté, Liberté trahie - Faire et défaire des citoyens français, Guyane 1780-1880, Alma Editeur, 2016
- Wanquet, Claude, La France et la première abolition de l'esclavage, 1794-1802: le cas des colonies orientales, Ile de France (Maurice) et la Réunion, Paris, Karthala, 1998
Bibliographie Archives départementales de la Guadeloupe
- Ghislaine Bouchet (dir.), 1848, une aube de liberté. L’abolition de l’esclavage à la Guadeloupe, Basse-Terre, Archives départementales de la Guadeloupe, 1998.
- Jean-François Niort et Jérémy Richard, « A propos de la découverte de l’arrêté consulaire du 16 juillet 1802 et du rétablissement de l’ancien ordre colonial (spécialement de l’esclavage) à la Guadeloupe », dans Bulletin de la Société d’histoire de la Guadeloupe, n° 152, janvier-avril 2009, p. 31-59.
- L’esclavage en Guadeloupe. D’une abolition à l’autre, Tome II, 1794-1848, dossier pédagogique réalisé par le service éducatif des Archives départementales de la Guadeloupe, Basse-Terre, 2011.
Bibliographie Archives départementales de la Réunion
- Wanquet, Claude, La France et la première abolition de l’esclavage (1794-1802). Le cas des colonies orientales : île de France (Maurice) et La Réunion, Paris, éditions Karthala, 1998, 724 p.
- Wanquet, Claude, Histoire d'une Révolution. La Réunion (1789-1803), Marseille, J. Laffitte, 2 vol., 1980-1981, 779 et 514 p.
Actes sur l'esclavage et son rétablissement par Bonaparte
LOI DU 30 FLORÉAL AN X (20 MAI 1802)
Archives nationales, A 1055
« AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS, BONAPARTE, premier Consul, PROCLAME loi de la République le décret suivant, rendu par le Corps législatif le 30 floréal an X, conformément à la proposition faite par le gouvernement le vingt-sept dudit mois, communiquée au Tribunat le même jour.
DÉCRET
Art. 1er – Dans les colonies restituées à la France en exécution du traité d'Amiens, du 6 germinal an X, l'esclavage sera maintenu conformément aux lois et règlements antérieurs à 1789.
Art. 2 – Il en sera de même dans les autres colonies françaises au-delà du cap de Bonne-Espérance (note d'édition : les Mascareignes, c'est-à-dire principalement la Réunion et l’île Maurice).
Art. 3 – La traite des noirs et leur importation dans les dites colonies, auront lieu, conformément aux lois et règlements existants avant ladite époque de 1789.
Art. 4 – Nonobstant toutes lois antérieures, le régime des colonies est soumis, pendant dix ans, aux règlements qui seront faits par le gouvernement. »
ARRÊTÉ CONSULAIRE DU 27 MESSIDOR, AN 10 (16 JUILLET 1802)
Minute, Archives nationales, AFIV 66/379/1
—
« Paris, le 27 messidor, an 10 de la République une et indivisible. Les Consuls de la République, sur le rapport du ministre de la marine et des colonies;
Vu la loi du 30 floréal dernier,
Arrêtent ce qui suit :
Art. 1er – La colonie de la Guadeloupe et dépendance[s] sera régie à l’instar de la Martinique, de Sainte-Lucie, de Tabago et des colonies orientales, par les mêmes lois qui y étaient en vigueur en 1789.
II – Le ministre de la marine et des colonies est chargé de l’exécution du présent arrêté.
Le premier Consul, signé Bonaparte. »
En marge : « L’expédition a été envoyée au ministre de la Marine (à lui seul) ».
ARRÊTÉ LOCAL DE RICHEPANCE, POUR LA GUADELOUPE, RESTREIGNANT LE TITRE DE CITOYENS AUX SEULS BLANCS, 17 JUILLET 1802
Revue coloniale, 1844
—
« Basse Terre, 28 messidor an X [17 juillet 1802]
Art. 1er – Jusqu'à ce qu'il en soit autrement ordonné, le titre de citoyen français ne sera porté, dans l'étendue de cette colonie et dépendances, que par les Blancs. Aucun autre individu ne pourra prendre ce titre, ni exercer les fonctions ou emplois qui y sont attachés [...].
Art. 4 – Tous les hommes de couleur et noirs qui ne seront pas porteurs d’un acte légal d’affranchissement de tout service particulier, sont obligés, dans les 24 heures pour les villes, et dans les cinq jours pour les bourgs et campagnes, de sortir de communes où ils peuvent se trouver, pour retourner aux propriétés dont ils dépendaient avant la guerre, excepté ceux qui auront servi honorablement dans l’armée de ligne, et sur le sort desquels le général en chef aura à prononcer, d’après le rapport du commissaire supérieur. [...] »
PROCLAMATION DE HUGUES AUX HABITANTS MODIFIANT L'ARRÊTÉ DES CONSULS DU 16 FRIMAIRE, AN XI [7 DÉCEMBRE 1802]
(DIVISION DES NOIRS ET GENS DE COULEUR EN DEUX CLASSES, CONSCRITS ET ESCLAVES),9 PRAIRIAL AN XI (29 MAI 1803)
Archives nationales d’outre-mer, C14 82 F° 91
—
« Cayenne, le 29 prairial an 11 [29 mai 1803] CITOYENS,
L’arrêté des consuls du 16 frimaire dernier, divise en deux classes les noirs et gens de couleur, les conscrits et les esclaves; mais le Gouvernement en adoptant cette mesure qui lui a été dictée par les malheureux évènements arrivés dans les autres colonies, m’a donné le droit, par ses Instructions, de modifier et même de changer celles des dispositions de son arrêté que je jugerai pouvoir s’opposer à son but, la prospérité de la colonie. Investi de ce témoignage de l’extrême confiance du gouvernement, et voulant seconder ses vues bienfaisante, j’ai décidé que la classe des conscrits sera fondue dans celles des esclaves. Et que tous les individus qui la composent pourront être vendus, à compter du 1er messidor an 12 [20 juin 1804], par ceux qui justifieront en avoir payé la valeur. »
Les positions déclarées de Napoléon Bonaparte au sujet de l'esclavage
EN SÉANCE DU CONSEIL D’ÉTAT, 16 AOÛT 1800
—
« La question n’est pas de savoir s’il est bon d’abolir l’esclavage [...]. Je suis convaincu que [Saint-Domingue] serait aux Anglais, si les nègres ne nous étaient pas attachés par l’intérêt de leur liberté. Ils feront moins de sucre, peut-être, mais ils le feront pour nous, et ils nous serviront, au besoin, de soldats. Si nous avons une sucrerie de moins, nous aurons de plus une citadelle occupée par des soldats amis. »
PROCLAMATION DU PREMIER CONSUL AUX HABITANTS DE SAINT-DOMINGUE, 8 NOVEMBRE 1801
Correspondance de Napoléon Ier, publiée par ordre de l’Empereur Napoléon III, n°5859
—
« Paris, 17 brumaire an 10Habitants de Saint-Domingue, Quelles que soient votre origine et votre couleur, vous êtes tous Français; vous êtes tous libres et égaux devant Dieu et devant la République. [...] Si on vous dit : ces forces sont destinées à vous ravir votre liberté, répondez : La République nous a donné la liberté, la République ne souffrira pas qu’elle nous soit enlevée [...] »
EXPOSÉ DE LA SITUATION DE LA RÉPUBLIQUE AU CORPS LÉGISLATIF, 22 NOVEMBRE 1801
Correspondance de Napoléon Ier publiée par ordre de Napoléon III, n°5874
—
«À Saint-Domingue et à la Guadeloupe il n’y a plus d’esclaves; tout y est libre; tout y restera libre. La sagesse et le temps y ramèneront l’ordre et y rétabliront la culture et les travaux. À la Martinique, ce seront des principes différents. La Martinique a conservé l’esclavage, et l’esclavage y sera conservé. Il en a trop coûté à l’humanité pour tenter encore, dans cette partie, une révolution nouvelle. Les îles de France et de la Réunion sont restées fidèles à la métropole au milieu des factions et sous une administration faible, incertaine, telle que le hasard l’a faite, et qui n’a reçu du gouvernement ni impulsion ni secours. Ces colonies si importantes sont rassurées; elles ne craignent plus que la métropole, en donnant la liberté aux noirs, ne constitue l’esclavage des blancs. »
À BARBÉ-MARBOIS, CONSEILLER D’ÉTAT
Roederer, Mémoires, p.131
—
« C’est en me faisant catholique que j’ai fini la guerre de la Vendée, en me faisant musulman que je me suis établi en Égypte, en me faisant ultramontain que j’ai gagné les esprits en Italie. Si je gouvernais un peuple de juifs, je rétablirais le temple de Salomon. Ainsi, je parlerai de liberté dans la partie libre de Saint-Domingue; je confirmerai l’esclavage à l’île de France [Réunion], de même dans la partie esclave de Saint-Domingue [Santo Domingo]. »
EN SÉANCE DU CONSEIL D’ÉTAT, 20 MAI 1802
Anne-Clair Thibaudeau, Mémoires sur le Consulat, Ponthieu, 1827, p.119-121
—
« On a livré tous les Blancs à la férocité des Noirs, et on ne veut pas même que les victimes soient mécon-tentes [...] Je suis pour les blancs, parce que je suis blanc; je n’ai pas d’autre raison, et celle-là est bonne. Comment a-t-on pu accorder la liberté à des Africains, à des hommes qui n’avaient aucune civilisation, qui ne savaient seulement pas ce que c’était que colonie, ce que c’était que la France ? [...] »
INSTRUCTIONS SECRÈTES DU MINISTRE DE LA MARINE ET DES COLONIES AU GÉNÉRAL LECLERC, CAPITAINE GÉNÉRAL À SAINT-DOMINGUE, 14 JUIN 1802
Lettres du général Leclerc, commandant en chef de l’armée de Saint-Domingue, publiées avec une Introduction par Paul Roussier, Société de l’histoire des colonies françaises, Paris, 1937, p. 284-285
—
« Bureau des colonies
Paris, le 25 Prairial an 10 de la
République une et indivisible
Le Ministre de la Marine et des colonies,
Au Général Leclerc,
Général en chef et Capitaine général
À St Domingue
Le texte de la loi du 30 floréal dernier, dont j’ai ordre, Général, de vous adresser plusieurs exemplaires imprimés, ne pouvait et ne devait, lorsqu’elle a été rendue, faire aucune mention de la colonie de St Domingue. Elle n’est nominalement applicable, quant à l’esclavage, qu’aux établissements dans lesquels nous allons rentrer par suite de la paix, et aux colonies orientales. Mais elle rétablit la traite, et toutes nos possessions en ont besoin. C’est sur ces deux points, intimement liés l’un à l’autre, et aussi délicats qu’importants, que j’ai à vous transmettre les intentions du gouvernement.
En ce qui concerne le retour à l’ancien régime des Noirs, la lutte sanglante dont vous venez de sortir glorieux et vainqueur, commande les plus grands ménagements. Ce serait peut-être s’y engager de nouveau que de vouloir briser avec précipitation cette idole de liberté au nom de laquelle tant de sang a coulé jusqu’ici. Il faut que pendant quelques temps encore la vigilance, l’ordre, une discipline tout à la fois rurale et militaire remplacent l’esclavage positif et prononcé des gens de couleur de votre colonie. Il faut surtout que les bons traitements du maître les rattachent à sa domination. Lorsqu’ils auront senti par la comparaison la différence d’un joug usurpateur et tyrannique à celui du propriétaire légitime, intéressé à leur conservation, alors le moment sera venu de les faire rentrer dans leur condition originelle, d’où il a été si funeste de les avoir tirés. (…)
J’ai l’honneur de vous saluer.
Decrès
Lettre de Bonaparte à Decrès, ministre de la Marine et des colonies au sujet des instructions secrètes à envoyer à Cayenne, 7 août 1802
Napoléon Bonaparte, Correspondance générale publiée par la Fondation Napoléon, vol.III, Fayard, 2006, n°7076
« Paris, 19 thermidor an 10
(…) Il faut dire, en deux mots, que, Cayenne étant destiné à de grands résultats, un grand nombre de noirs doit y être envoyé, et tout préparer au rétablissement de l’esclavage. Ce principe est non seulement celui de la métropole, mais encore celui de l’Angleterre et des autres puissances européennes. (…) »
La conduite de l’expédition de Saint-Domingue
Lettre du Premier Consul au général Leclerc
Correspondance de Napoléon Ier publiée par ordre de l’Empereur Napoléon III, vol.7, p. 640
—
Paris, 12 Messidor an X (1er juillet 1802)
Au capitaine Général Leclerc
Commandant en chef de l’armée de Saint-Domingue
Les nouvelles que Bruguières nous a apportées ont produit une sensation extrêmement vive et agréable en France. Le commerce s’active et se dirige vers Saint-Domingue ; protégez-le de tous vos moyens.
Les troupes qui vous ont été annoncées sont pour la plupart parties, et je compte qu’avant la fin de septembre vous aurez envoyé ici tous les généraux noirs ; sans cela, nous n’aurions rien fait, et une immense et belle colonie serait toujours un volcan, et n’inspirerait de confiance ni aux capitalistes, ni aux colons, ni au commerce. Je comprends parfaitement qu’il serait possible que cela occasionnât des mouvements ; mais vous aurez devant vous toute la saison pour les réprimer. Quelques suites que l’envoi en France des généraux noirs puisse produire, ce ne sera qu’un petit mal comparé à celui que ferait la continuation de leur séjour à Saint-Domingue.
[…]
Dès l’instant que les noirs seront désarmés et les principaux généraux envoyés en France, vous aurez plus fait pour le commerce et la civilisation de l’Europe que l’on a fait dans les campagnes les plus brillantes.
[…]
Défaites-nous de ces Africains dorés et il ne vous restera plus rien à désirer.
[… ]
Quant à vous, vous êtes en chemin d’acquérir une grande gloire. La République vous mettra à même de jouir d’une fortune convenable, et l’amitié que j’ai pour vous est inaltérable.
Ma femme est aux eaux à Plombières.
Bonaparte
Lettre de Leclerc à Decrès, 9 août 1802
Archives nationales d’outre-mer, CC9B/19
—
« Les hommes meurent avec un fanatisme incroyable (…) Ils se rient de la mort. Il en est de même des femmes…. Cette fureur est l’ouvrage de la proclamation du général Richepance et des propos inconsidérés des colons [de Saint-Domingue]. »
L’opposition au retour à l’ordre esclavagiste
Proclamation de Louis Delgrès le 10 mai 1802
Longin Félix, Voyage à la Guadeloupe, œuvre posthume (1818-1820), Monnoyer, 1848,
p. 191-194. Lacour Auguste, Histoire de la Guadeloupe, 1858, tome 3, p. 253-255
—
« À l’univers entier
Le dernier cri de l’innocence et du désespoir
C’est dans les plus beaux jours d’un siècle à jamais célèbre par le triomphe des lumières et de la philosophie qu’une classe d’infortunés qu’on veut anéantir se voit obligée de lever la voix vers la postérité, pour lui faire connaître lorsqu’elle aura disparu, son innocence et ses malheurs.
(…) Le général Richepance, dont nous ne savons pas l’étendue des pouvoirs, puisqu’il ne s’annonce que comme général d’armée, ne nous a encore fait connaître son arrivée que par une proclamation dont les expressions sont si bien mesurées, que, lors même qu’il promet protection, il pourrait nous donner la mort, sans s’écarter des termes dont il se sert. À ce style, nous avons reconnu l’influence du contre-amiral Lacrosse, qui nous a juré une haine éternelle (…)
Osons le dire, les maximes de la tyrannie les plus atroces sont surpassées aujourd’hui. Nos anciens tyrans permettaient à un maître d’affranchir son esclave, et tout nous annonce que, dans le siècle de la philosophie, il existe des hommes malheureusement trop puissants par leur éloignement de l’autorité dont ils émanent, qui ne veulent voir d’hommes noirs ou tirant leur origine de cette couleur, que dans les fers de l’esclavage.
Et vous, Premier consul de la république, vous guerrier philosophe de qui nous attendions la justice qui nous était due, pourquoi faut -il que nous ayons à déplorer notre éloignement du foyer d’où partent les conceptions sublimes que vous nous avez si souvent fait admirer ! Ah ! sans doute un jour vous connaîtrez notre innocence, mais il ne sera plus temps et des pervers auront déjà profité des calomnies qu’ils ont prodiguées contre nous pour consommer notre ruine. (…)
Le Commandement de la Basse-Terre Louis DELGRÈS
Une réglementation de ségrégation
Arrêté consulaire du 13 messidor, an 10 (2 juillet 1802)
Archives nationales, AFIV
—
« Les consuls, sur le rapport du ministre de la Marine et des colonies, le Conseil d’Etat entendu, arrêtent :
Art. 1er Il est défendu à tout étranger d’amener sur le territoire continental de la République aucun Noir, mulâtre ou autres gens de couleur de l’un et l’autre sexe.
Art. 2 Il est pareillement défendu à tout Noir, mulâtre ou autre gens de couleur qui ne seraient point au service, d’entrer à l’avenir sur le territoire continental de la République sous quelque prétexte que ce soit, à moins qu’ils ne soient munis d’autorisation spéciale des magistrats des colonies d’où ils seraient partis, ou s’ils ne sont pas partis des colonies, sans l’autorisation du ministre de la Marine et des colonies.
Art. 3 Tous les Noirs et mulâtres qui s’introduiront après la publication du présent arrêté sur le territoire continental de la République, sans être munis de l’autorisation désignée à l’article précédent, seront arrêtés et détenus jusqu’à leur déportation. »
Circulaire aux préfets, prohibant les mariages mixtes en France, 8 janvier 1803
« Circulaire du Grand-Juge aux préfets de France [métropolitaine], du 18 nivôse an XII (8 janvier 1803) relative à la prohibition du mariage entre les blancs et les noirs.
Je vous invite, M. le préfet, à faire connaître, dans le plus court délai, aux maires et adjoints faisant les fonctions de l’état civil dans toutes les communes de votre département, que l’intention du gouvernement est qu’il ne soit reçu aucun mariage entre des blancs et des négresses, ni entre des nègres et des blanches.
Je vous charge de veiller avec soin à ce que ses intentions soient exactement remplies, et de me rendre compte de ce que vous aurez fait pour vous en assurer. »
Exposé présenté à la Cour d’appel de la Martinique au nom des trois magistrats, par le grand-juge, promulguant le Code civil et l’adaptant « en ce qui n’est pas contraire aux localités », 4 septembre 1805
Archives nationales d’outre-mer, C8A 110
(…) « Nous considérons comme un principe fondamental dans les colonies que l’on doit y reconnaître trois classes d’hommes.
Le Français européen et ses descendans, nés dans la colonie sont la même famille, ils forment la classe blanche qui seule, à proprement parler, forme la colonie.
Les gens de couleur font une classe à part ; ils sont dans la cité sans faire partie intégrante de la cité, ils ont droit à la protection des loix, pour la sureté de leurs personnes et la conservation de leurs propriétés, mais ils ne peuvent prétendre à aucune participation aux emplois, aux privilèges de l’ingénuité native, qui sont et doivent être exclusivement l’apanage des Blancs.
La troisième classe est celle des esclaves. L’esclave est la propriété d’autrui. Instrument de culture, il doit être sous l’obéissance exclusive de son maître. Homme, il est pour sa sureté et pour celle de la société sous la discipline du magistrat, sous la surveillance et la protection de la loi.
Telles sont les distinctions dont le maintien est nécessaire au bonheur, à l’existence même de la colonie, et que nous n’avons jamais perdues de vue, en cherchant la manière de concilier l’établissement du Code, avec un respect inviolable pour les autres bases, sans lesquelles, l’expérience en fait foi, il n’y aurait bientôt ny code, ny colonie. »